Fragile/s de Nicolas Martin

Titre : Fragile/s

Auteurice : Nicolas Martin

Maison d’édition : Au diable Vauvert

Genre : Science Fiction


Date de publication : 24 Août 3035


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Il y a des personnages publics qui vous inspirent confiance de manière instinctives et d’autres par leur travail, leur chemin de vie. Nicolas Martin fait partie de ces personnes là. Homme multidisciplinaire, il a eu plusieurs casquettes dans sa vie. Et puis, il y a l’engagement pour des causes qui me tiennent à cœur aussi. Je vous laisserai éplucher sa bio pour cela mais elle vaut le coup d’œil : il a eu une vie palpitante. Fun fact, je ris toute seule en ce moment même d’écrire son nom de famille car c’est celui de mon grand-père. Heureusement pour nous deux, le nom Martin est très courant en France. Nicolas Martin, je l’ai découvert avec son émission La Méthode Scientifique où j’ai eu cette révélation que j’aimais vraiment me tenir au courant de cette actualité alors qu’à la base, j’y allais pour des recommandations de Science Fiction. C’est amusant, la vie, parfois, quand on est un peu curieux. Aussi, quand il a sorti la Naissance du savoir, j’ai pris le livre et je me suis éclatée à le lire. C’est ainsi que je vois qu’il annonce cette année que son premier roman sortirait le 24 Août 2024 et, évidemment, je l’ai lu à sa sortie.

Ce roman, c’est Fragile/s dont vous n’avez la chronique que maintenant parce que, depuis, j’ai participé à deux podcasts avec ma comparse Pomme sur ce livre. Et si j’ai tardé, c’est parce que je n’avais pas envie non plus de vous en faire une bafouille rapide. Parce que ce roman m’a marquée. Je me souviendrai longtemps de la nuit où j’ai lu Fragile/s, un cochon d’inde au creux du cou, mâchouillant son céleri, à la fin de l’été. L’histoire m’a marquée parce qu’elle a raisonné en moi sur différents niveaux, que ce soit en politique ou dans ma vie personnelle. Et l’écriture de cet auteur me parle aussi. Il a donc dû être nécessaire pour moi de faire un vrai travail de tri pour ne pas trop en vous en dévoiler mais pour vous, et bien de lire toute cette tartine que je risque de trouver insipide dans quelques heures. Maison va se dire qu’on se fait confiance mutuellement pour se lancer dans l’aventure.

Fragile/s, qu’est-ce que c’est ? C’est un roman paru depuis le 24 Août 2024 au Diable Vauvert. Pour celleux qui aiment les étiquettes, c’est un roman classé dans l’anticipation et dans la dystopie. Alors oui, mais pas que. C’est aussi, selon moi, un roman de société. Ce que cela raconte, en gros, c’est qu’on est dans un futur, en France. La fertilité s’effondre et la plupart des enfants naissent avec le syndrome de l’X Fragile. Nous, on suit Typhaine qui a déjà eu une fille, Madeleine, atteinte de ce syndrome. Elle est en couple avec Guillaume. Elle travaille comme avocate dans le sociale et lui dans la politique dans un parti d’extrême droite. Ils veulent changer le système de l’intérieur. Et pourtant, grâce à ses relations dans le parti, Typhaine peut faire partie d’un programme de génoembryonlogie pour avoir un enfant dit normal et peut être même plus. Nolan est né et le pays bascule dans la dictature.

Pour celleux qui se demandent, oui, on est dans de la Science Fiction parce que pouvoir modifier un embryon génétiquement, ce n’est pas vraiment possible actuellement. Et c’et interdit légalement si vous vous posez la question selon le paragraphe I de l’article 23 de la loi déférée remplace, à l’article L. 2151-2 du code de la santé publique. Mais pour faire un peu de Science Fiction, l’auteur va nous l’ancrer dans le réel. Et pour cela, il y a ce syndrome de l’X fragile qui est bien réel. C’est une maladie génétique qui est due à une mutation du chromosome X (même en ne faisant plus d’émissions scientifique, cet auteur me fera faire des recherches scientifiques, tsss). Les garçons en sont donc plus touchés que les filles. En gros, la plupart des personnes atteintes par cette maladie on un retard intellectuel allant de léger à sévère. Cela touche aussi leur comportement car elles ont des difficultés à s’intégrer socialement, ont une hypersensibilité sensorielle, des comportement répétitifs aussi et il en résulte qu’elles ont de l’anxiété, de l’impulsivité par exemple. Des recherches sont bien en cours. On ne peut pas en guérir mais on peut les prendre en charge, plus ou moins bien, selon votre milieu social ou votre emplacement géographique. Quant au contexte politique, rappelons qu’en 2024n en France, il y a une montée de l’extrême droite sans précédent, des minorités qui sont encore plus stigmatisées, un dialogue politique et sociale rompu et un certain mélange entre les différents pouvoirs, ce qui pourrait peut être nous faire demander si on est toujours en République. On peut dire donc qu’on glisse doucement vers le régime politique présent dans le livre.

Fragile/s, de prime abord, va vous parler de fertilité, de dictature et comment on va associer tout cela. En effet, je vous ai signalé dans le résumé que Typhaine et Guillaume ont une fille du nom de Madeleine atteinte du syndrome de l’X fragile. Et comme nous sommes dans un gouvernement d’extrême droite, autant vous dire que vous pouvez oublier des choses importante comme l’avortement. Vos conversations et vos écrits numériques sont surveillés aussi. C’est pour cela que Tiphaine va utiliser des carnets. En ce qui concerne le système judiciaire, vous l’oubliez aussi puisque l’on procède à des arrestations arbitraires, on peut envoyer qui ont veut dans des camps de réhabilitation, la peine de mort est rétablie, des gens disparaissent. Si vous êtes une femme, par contre, petit bonus : vous ne serez pas exécutée de suite, surtout si vous ne transmettez pas l’X fragile. On vous pompera vos ovules avant. Quant à ce programme génique, ne pensez pas que votre enfant vous appartiendra pour de vrai : votre foyer sera scruté et une assistante sociale / nourrice viendra vous observer continuellement, rapportant vos moindres faits et gestes. Et si vous avez un précédent enfant avec un X Fragile, il serait peut être temps de le placer aussi. Pour éviter un environnement stressant pour cet enfant parfait. Ah oui, le fameux sujet de l’immigration, cher à l’extrême droite. Vous ne pourrez pas immigrer en France, sauf si vous avez une réelle utilité ou alors si vous avez des enfants sains. Mais on vous les prendra pour les placer. Pour leur bien évidemment et on les fera adopter par de “bons Français”.

Typhaine, cela ne la dérange pas d’avoir Madeleine parce qu’elle aime sa fille. Par contre, cet autre enfant, Nolan, elle a du mal à l’aimer car il ne lui appartient pas non plus. Sauf que Guillaume voudrait un enfant normal pour son avancement, pour avoir moins de problèmes, que sais-je ? Des trucs de mecs, quoi. Et c’est sans trop se préoccuper du consentement et de la carrière de Typhaine qu’il l’inscrit à ce programme. Et Typhaine a une telle pression qu’elle n’osera pas dire non, non plus. Elle va donc perdre ses droits sur son propre corps, sur son propre mental car tout est fait pour ne pas la soutenir et pour la faire craquer afin d’enlever toute influence qu’elle pourrait avoir sur cet enfant. Elle va perdre sa fille car oui, tout sera fait pour placer Madeleine. Elle va perdre son emploi car c’est quand même mieux d’être à la maison pour élever ce fils parfait. Et elle devra aussi trier ses relations car il serait malvenu d’avoir des connaissances qui seraient contre le gouvernement. Typhaine sera isolée et coupée de son monde dès l’instant où Guillaume prendra la décision d’avoir cet enfant. Et comme Typhaine a du caractère et qu’elle veut avoir ses propres opinions, on la traite de folle, la diagnostique, l’abrutit chimiquement pour la placer aussi. Parce qu’elle ne correspond pas à ce qu’on attend d’elle. Et si vous pensiez que son époux va la soutenir parce qu’il l’aime… Et bien je vous laisse relire le début de ce paragraphe.

Alors, vous allez me dire : c’est de la Science Fiction. C’est pas comme ça dans la vraie vie, ma petite Koré (désolée, mais je vous imagine du genre masculin quand vous me dites cela). Avant toute chose, avant que qui que ce soit me dise que je ne sais pas de quoi je vais parler, on va dire les choses de suite : je suis mère de famille et j’ai déjà avorté. Autant je vais bien vous démontrer à quel point Nicolas Martin a fait plus un roman social qu’un roman dystopique, en ayant totalement conscience que je suis blanche, non racisée et hétéro. Donc plutôt dans la partie privilégie de la gente féminine (et j’en reviens pas d’écrire cela).

On va déjà parler d’injonction à la maternité. C’est toujours sympathique pour commencer un argumentaire. J’ai aujourd’hui 42 ans (donc périmée pour beaucoup d’hommes) et j’ai eu deux enfants. Vous pensez que c’est assez ? On me demande encore régulièrement pourquoi je n’ai pas de petit troisième. Et pourquoi je ne suis pas mariée non plus ni pacsée alors que je suis en couple. C’est pas normal. Ayant beaucoup de difficulté avec la contraception hormonale, j’ai eu l’occasion aussi d’expérimenter l’avortement plusieurs fois. Vous n’imaginez pas le parcours que c’est, les jugements que l’on peut avoir Les retards sur les suivis médicaux. Et ne pensez pas que l’on vous laissera vous reposer après, car j’ai repris l’après midi même. Et c’est un sujet tabou aujourd’hui encore. Sans compter que les premiers rendez vous, c’est dans un endroit où il y a pleins de femmes enceintes. Vous avez votre dossier en main avec toutes les échographies. Vous imaginez la violence du truc ? Et à l’époque, on a grandement supposé aussi que je me trompais dans la prise de ma contraception, parce que évidemment c’était de ma faute. Jamais de mes partenaires. Qui n’ont jamais vu le moindre bout de rendez vous à ce sujet. Parfois même j’ai dû le cacher pour éviter qu’on me traite de tous les noms. Avec l’implant contraceptif, j’ai gagné un répit après la naissance de mes enfants mais j’ai gagné aussi 15 kgs. J’ai bien entendu pensé à me faire ligaturer les trompes mais il y a dix ans, c’était plus qu’un parcours du combattant, que j’ai perdu d’ailleurs. La plus belle remarque que j’ai eu c’est quand on m’a demandé ce que pensais mon compagnon de cette opération. Tout, absolument tout dans notre société actuelle oriente les femmes vers la maternité. Quand on parle d’avortement, on est jugées. Quand on parle de ne pas avoir d’enfant, on est jugées. Quand on ne peut pas en avoir, on est jugées aussi.

Mais attendez, ce n’est pas encore fini. Si jamais vous tombez enceint.e, vous aurez toutes les injonctions sur votre grossesse. Votre corps sera ausculté en permanence. Il faudra être active, mais pas trop. Avoir une vie très saine, mais fun et réjouie en n’oubliant pas de faire tout le social sur l’évènement. Si vous avez une fausse couche, vous serez invisibilisé.es, sachez le. On vous parlera juste de la “prochaine fois”, car tout sera fait pour recommencer. Si vous avez du mal à tomber enceint.e, j’espère pour vous que vous ne serez ni obèse, si malade, ni racisé.e. Et que vous êtes en couple hétérosexuel aussi. Sinon ça va être galère. Et faites aussi des enfants dans la bonne tranche d’âge. Assez mais pas trop non plus. Vous l’aurez deviné, votre corps ne vous appartient déjà plus. Mais ne pensez pas non plus que cela va s’arrêter à l’accouchement. Car on vous dira aussi comment allaiter votre enfant, et cela dépendra des tendances du moment, comment il doit se coucher aussi. Et si vous loupez le moindre rendez vous, on vous jugera socialement. Ah oui, et si vous pensez que votre enfant a quoi que ce soit, ne pensez pas qu’on vous écoutera. Je le sais, je l’ai vécu. On ne prendra pas compte non votre baisse hormonale juste après et la dépression qui en découlera. On sous entendra que vous aimerez votre enfant de suite. Au premier regard. On vous demandera de vous remettre en forme, de vous réintégrer socialement mais dans un groupe de mères de famille, d’ignorer vos cicatrices et votre corps pour vite relancer le désir de votre partenaire parce que, oui, vous devez être aussi un couple.

Alors, parle-t-on vraiment de Science-Fiction dans Fragile/s? Je ne pense pas. On parle de projection de société, oui, mais croyez moi, dans cet univers encore fortement patriarcal, cette projection semble inéluctable. Alors pourquoi ne pas se révolter ? Et bien je vous renvoie à Typhaine/ Tout est fait pour étouffer les révoltes, tout est fait pour que l’on se taise. Et surtout, tout le monde ne peut pas être totalement intègre, soyons honnête deux minutes et regardons nous. Nous faisons tous.tes des compromis que ce soit dans nos foyers que dans le travail, que dans nos entourages, que dans la société. Je le répète, tout le monde fait des compromis avec ses convictions, moi la première et c’est un des sujets principaux de ce roman. Nicolas Martin nous montre la réalité de la vie des gens, il nous poste un miroir notre présent. Commet vivre dans une société où on a le sentiment d’avoir perdu le combat ? Comment composer avec une société qui nous silencie ou qui ne nous correspond pas?

Et pourtant, il va redonner la parole aux femmes de ce roman. Il va mettre en lumière leurs actions et leurs sentiments. Si vous pensiez que ce roman va parler énormément de cet enfant parfait qu’est Nolan, vous vous trompez. La place sera prise par Madeleine, que ce soit dans le roman ou dans nos cœurs. C’est Typhaine aussi, fragilisée, écrasée par ce système qui prendra la lumière. Car si Typhaine n’est pas parfaite, c’est une survivante à ce système, comme tant d’autres. C’est leur chemin de vie et leurs décisions, que vous soyez d’accord avec elles ou pas, qui vont vous marquer.

Est ce que ce roman est bon ? Il est excellent. Je vous le rappelle, je l’ai lu en une nuit. Et je ne regrette rien (et pourtant cela a bien piqué le lendemain). Est ce qu’il est parfait ? Sûrement pas ! Car ce sont les imperfections de ce roman qui le rendent mémorable. Et Nicolas Martin manie cela avec brio. En changeant de style, en explorant différents types de récit, en le rendant visuel, en utilisant toutes les facettes des multiples vies qu’il a mené. Il nous balance des chapitres courts pour vous tenir en haleine (comprenez pour vous empêcher de dormir). Fragile/s vous fera poser des questions sur le monde dans lequel nous vivons mais aussi sur vous même : vos forces, vos faiblesses, vos limites. La vraie question est : prêt.es à être bouleversé.es ?

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