
Titre : Chanur
Autrice : Carolyn J. Cherryh
Traducteurs : Michel Deutsch
Saga : Chanur
Numéro de tome : 1
Maison d’édition : J’ai lu
Genre : Science Fiction
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Chronique corrigée
Il y a des livres qui vous tombent dessus comme lorsque vous avez un coup de foudre. J’étais en quête d’un livre pour le Club de lecture de Choixpitre qui demandait « Un livre de votre année de naissance ». Et je vois une autrice de Science-Fiction, Carolyn J. Cherryh, qui a écrit le premier tome d’une saga, Chanur, et je tombe sur une couverture de livre absolument kitsch. Vous la voyez d’ailleurs en présentation de cette chronique, car je l’adore. Mais qu’en est-il du contenu du livre ? Heureusement pour moi, j’ai joué à quitte ou double, me renseignant juste sur l’autrice, qui est reconnue pour être féministe, et je me suis lancée dedans, parce que le résumé est trompeur, figurez-vous. Je le remanie un peu pour vous, et ensuite, nous verrons à quel point Chanur est une saga importante pour la Science-Fiction et qu’elle mériterait un peu plus de mise en avant.
Dans un station-port, il y a une créature qui erre et évolue en dessous des regards des populations jusqu’à ce qu’elle se réfugie sur un vaisseau : L’Orgueil de Chanur, dont la capitaine s’appelle Pyanfar Chanur. Celle-ci détecte que cette créature, dont on n’a jamais vu de représentant, sait reconnaître des écritures, donc elle décide de lui accorder l’asile. Mais cette action risque de lui attirer l’animosité des autres races.
C’est l’essence même de ce roman : le fait d’accorder l’asile à une espèce que l’on ne connaît pas et avec qui on ne peut pas communiquer, qu’est-ce que cela représente ? Et surtout, quelles tensions politiques cela peut provoquer, au niveau planétaire, mais interplanétaire aussi.
Notre personnage principal est une capitaine de vaisseau du nom de Pyanfar Chanur, et c’est déjà cela qui est dingue pour un roman de Science-Fiction du début des années 80. Mais l’autrice va aller encore plus loin, car Pyanfar n’est pas humaine : c’est une Hani que l’on peut imaginer comme une femme-tigre. C’est aussi une personne d’âge mature : on sait qu’elle est mariée et qu’elle a deux enfants déjà adultes, ce qui nous situerait en âge humain à entre la quarantaine minimum et la cinquantaine. C’est une capitaine confirmée, mais de moindre importance. On sait qu’elle gère bien son vaisseau, qu’elle a de l’autorité et que c’est une entreprise familiale, puisque sa nièce, Hilfy, fait partie de l’équipage. Et enfin, on sait qu’elle est plutôt appréciée par les autres espèces et que c’est aussi pour cela qu’elle est plutôt bonne dans son domaine.
Dans son équipage, il y a bien entendu sa nièce, mais aussi une navigatrice et une gérante de sécurité. Hilfy est toute nouvelle, et on sent qu’elle a encore du mal avec l’autorité. Elle est impulsive et représente un peu sa tante plus jeune. On sait que les vaisseaux Hani ne sont occupés que par des femmes, car les hommes, eux, dirigent le domaine sous le couvert d’autres femmes, parce qu’ils sont beaucoup trop dirigés par leurs pulsions. Dans cet univers, et surtout dans ce tome, on sait qu’il y a les Mahendo’sat, des personnes-singe dont la société semble être plutôt égalitaire au niveau des sexes. C’est une race qui utilise le commerce et la technologie pour asseoir son pouvoir. C’est avec eux que viennent les intrigues politiques. Il y a aussi les Kifs, une race de personnes-lézards qui sont plutôt belliqueux. C’est une race qui veut asseoir sa domination par la force, et on ne sait rien de leur sexe. Ce sont d’ailleurs les Kifs qui retenaient la créature.
En parlant de créature, levons le voile de suite : c’est un humain, et il s’appelle Tully. On sait qu’il a peur et qu’il est plutôt maladroit, et on découvrira un peu de sa personnalité au fur et à mesure qu’il arrivera à communiquer avec l’équipage. C’est assez amusant, car nous le découvrons sous le regard de Pyanfar, donc on pense que Tully est plutôt sale, mystérieux dans le sens où elle n’arrive pas à déterminer pourquoi il est là et ce qu’il veut.
De cette présentation, on peut déjà deviner un peu les thèmes de ce roman. Au travers de cette situation avec Tully, l’autrice démontre aux lecteur·ices qu’un individu qui nous semble très familier (un homme blond et qui, dans notre société, serait privilégié) n’a à peine qu’un statut d’animal. C’est Pyanfar qui se bat pour lui obtenir des papiers garantissant son statut d’individu, et ce sera l’enjeu principal de ce roman. En effet, les Kifs et les Mahendo’sat revendiquent la propriété de Tully, car c’est une espèce non pensante. Ils ne cherchent même pas à connaître son histoire. Soit ils veulent le manipuler et l’utiliser, soit ils veulent le tuer. Cela montre bien tout l’enjeu du colonialisme, par exemple, mais aussi les réactions xénophobes que pourraient avoir des peuples. Et ce sont des sujets encore d’actualité. D’ailleurs, je vous laisse regarder l’actualité du moment, qui est assez parlante. Pyanfar montre que, peu importe si l’on peut comprendre une espèce ou non, à partir du moment où ces espèces sont pensantes, elles méritent une protection et une aide en cas de danger, et surtout, elles méritent la liberté de choix.
Et toutes les négociations et toutes les actions qu’effectuera Pyanfar vont montrer les enjeux politiques que cela provoque. En effet, on voit très rapidement que les Kifs et les Mahendo’sat vont œuvrer chacun à leur manière pour influencer Pyanfar. Cela va avoir des répercussions sur toutes les races, puisque l’équilibre est rompu, mais cela aura aussi des répercussions planétaires, puisque Pyanfar va devoir subir les pressions de son propre peuple, qui n’est pas dominant dans cet univers. Elle va devoir choisir entre protéger son peuple ou respecter ses idéaux, son sens moral. Et c’est cette tension que l’on retrouvera tout au long du roman.
Je vous parle de différentes espèces, mais il va falloir aussi faire un petit point dessus. Nous avons deux forces en puissance : les Kifs, les fameuses personnes-lézards. C’est une espèce très belliqueuse dont on ne sait pas grand-chose, sauf qu’ils aiment conquérir le monde. C’est un peuple qui accorde beaucoup d’importance à la réputation guerrière. Ils apparaissent très effrayants et bruts de décoffrage, mais ils sont plus intelligents qu’il n’y paraît au premier abord. En face, en termes d’influence, il y a les Mahendo’sat, les gens-singes. C’est une espèce commerçante qui aime débarquer sur les planètes, apporter de la technologie pour développer leur commerce, à leur avantage bien sûr. C’est d’ailleurs comme cela qu’ils ont procédé avec les Hani, qui peuvent être considérés comme une espèce en voie de développement. Au milieu des Kifs et des Mahendo’sat, il y a une espèce qui ressemble un peu à des elfes : les Sh’to, une espèce diplomate. Sa particularité est d’avoir trois sexes possibles, et ils changent après un fort bouleversement émotionnel. Autant vous dire que, dans leur spécialité, ce n’est pas un atout, car à chaque changement de sexe, ils changent de personnalité et, surtout, parfois, perdent la mémoire. Il y a aussi des personnes-araignées, les Knn, une espèce très bizarre qui communique parfois de manière très obscure, car, possédant plusieurs cerveaux, il faut un tableau pour interpréter chaque communication. Ils apparaissent pour prendre une chose et en donner une autre de manière très aléatoire. C’est une espèce très bizarre, car on ne la comprend pas tout simplement.
Comme vous pouvez le deviner, l’autrice nous donne des détails au fur et à mesure et, spoilers, au fur et à mesure des tomes. Nous pourrons ainsi affiner notre perception des espèces au fur et à mesure que nous découvrons l’univers. Il n’y a pas de gentils ou de méchants. Il n’y a pas non plus de puissance dominatrice. C’est réellement une transposition des politiques humaines à l’échelle interplanétaire. C’est totalement immersif, parce qu’on découvre tout cela au travers des déambulations de Pyanfar, qui n’est pas la personne la plus importante chez les Hani, et elle ne fait pas partie des espèces qui dominent l’échiquier politique. On verra donc comment cela se passe quand on n’a pas toutes les cartes en main.
C’est ça, le style de Carolyn J. Cherryh : elle nous met en totale immersion, et nous ne découvrons des choses que lorsque Pyanfar les devine par elle-même. Cela nous implique émotionnellement aussi, puisqu’on a envie de lui donner des réponses sur ses interrogations à propos de Tully, par exemple, mais on se pose des questions sur les Hani et les autres espèces parce que Pyanfar ne nous les explique pas toujours, puisqu’elle les connaît. C’est aussi pour cela que le rôle d’Hilfy, la jeune nouvelle, nous est utile, car elle est en formation sur le vaisseau.
Mais je vous vois venir : des intrigues politiques tout le temps, on va s’ennuyer. Mais pas du tout. Alors oui, on aura des explications sur l’univers, sur le fonctionnement des vaisseaux, sur les espèces, mais c’est écrit de manière très fluide. L’autrice sait aussi alterner les moments de calme, d’introspection, de réflexion, mais aussi des moments d’action intense. En quelques lignes, on comprend ce qui se passe, et c’est surtout cela que j’ai beaucoup aimé dans ce roman.
On a donc : des personnages et une intrigue incroyables, un univers extrêmement riche et un point de vue intéressant. Y a-t-il des points négatifs ? Comme vous l’avez peut-être deviné plus tôt, j’ai eu un vrai coup de cœur (et je n’utilise pas cette expression très souvent) pour ce roman, pour cette saga. J’ai littéralement, pendant un peu plus d’un mois, vécu Chanur, ressenti Chanur. Je me suis cassée la tête pour regrouper les informations sur cet univers sans trop vouloir me spoiler. Alors oui, c’est un univers un peu exigeant. Il va vous demander de l’attention. Mais vous serez amplement récompensé·e. Pour moi, c’est vraiment un des romans précurseurs des autrices comme Becky Chambers, par exemple.
En bref, voici une saga profondément inclusive, féministe et qui a mon âge. Et chose incroyable, je l’ai découverte totalement par hasard. Et pourquoi ? Je me propose de vous parler un peu de l’autrice : Carolyn J. Cherryh. Elle est née en 1942 à Saint Louis, en Californie. Elle n’est pas considérée comme une autrice classique, car elle a commencé par écrire des romans plutôt que des nouvelles. Sa particularité est vraiment d’adopter un point de vue interne, et c’est hérité d’autrices comme Jane Austen. Elle est considérée comme un J.R.R. Tolkien de la Science-Fiction, tant elle construit son monde, que ce soit par les cultures, les langues ou les décors. Et si vous voulez découvrir un peu avec moi son univers, peut-être même que je me pencherai sur sa bibliographie, comme les sagas Les Guerres de la Compagnie, celle de L’Ère du rapprochement, qui sont dans le même univers. Mais sûrement d’autres. Vous m’accompagnerez ? Et cette autrice écrit aussi dans le domaine de la Fantasy. Que d’heures de lecture en perspective ! Par contre, il n’y a aucune récompense pour Chanur. Aucune. Alors oui, elle a reçu le Prix Hugo pour les romans Forteresse des Étoiles et Cyteen. Et un astéroïde a été nommé en son honneur. Et c’est tout. Alors qu’elle a écrit des dizaines de romans et qu’elle a construit des univers incroyables. À méditer, n’est-ce pas ? Laissez une chance à cette autrice. En tous cas, vous en entendrez parler ici.
Et si vous souhaitez m’entendre en parler, c’est par ici :)
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