
Titre : Shada
Auteur : Gareth Roberts
Traducteur : Olivier Debernard
Maison d’édition : Milady
Genre : Science fiction
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En 1979, Douglas Adams décide d’écrire trois épisodes pour la fin de la 17e saison et aussi pour clore sa participation à la série Doctor Who. Sauf qu’une grève éclate et ces épisodes ne peuvent jamais être diffusés. Ce n’est qu’en 2013 que Gareth Roberts, un autre scénariste de la série, avec l’accord des héritiers de Douglas Adams, sort la novélisation de ces épisodes. Shada a ainsi été publié en France aux éditions Milady.
Mais pourquoi vous parler de série et de livre ? Eh bien, Douglas Adams, que l’on connaît pour ses romans Le Guide du Voyageur Intergalactique, a aussi contribué à la scénarisation de la série Doctor Who. Gareth Roberts, lui, a tenté de lui rendre hommage en empruntant un peu de son style pour rédiger ce roman. Shada est réellement un épisode iconique de Doctor Who car il n’a jamais été entièrement diffusé. Nous allons voir ici quel impact ce livre et ces épisodes ont eu sur la série Doctor Who, et surtout, explorer les thèmes qu’ils développent.
Un jour, Skagra décide que Dieu n’existe pas. Cela laisse une place ! Autant que ce soit lui. Pendant ce temps, le Professeur Chronotis, Seigneur du Temps, a pris sa retraite à l’université de Cambridge. Mais il a oublié de rendre un livre ! Il fait donc appel à un très vieil ami pour le restituer à Gallifrey. Le Docteur vient donc accompagné de Romana et de K-9.
Dans ce livre, on conserve un ton très léger, mais les thèmes abordés sont très sérieux et toujours d’actualité. Tout d’abord, qu’est-ce que Shada ? On voit se profiler un homme qui veut devenir un dieu, un ancien Seigneur du Temps, un Docteur et ses compagnons. Mais Shada ? Eh bien, Shada est une prison où l’on enferme les Seigneurs du Temps renégats. On les met en stase, et ils sont endormis pour la durée de leur peine. Sauf que les Seigneurs du Temps ont eux-mêmes oublié l’existence de cette prison. Or, les Seigneurs du Temps sont censés représenter une civilisation très développée et devraient donc avoir un système de justice permettant de réduire toute criminalité, voire de l’anéantir. Mais cette prison symbolise surtout l’absence de réhabilitation, la stagnation des institutions face à leurs usagers. En revanche, Chronotis, lui, représente tout le contraire : il a chapardé un livre mais s’en sort (il a fait d’autres trucs aussi, mais je ne vous les dévoilerai pas ici). Il montre qu’en dehors du système, il a pu racheter ses fautes.
Seigneur du Temps, Professeur Chronotis… Un de ses visiteurs dit de son bureau qu’il « suinte le temps ». Et c’est bien de cela qu’on va parler tout le temps (sans mauvais jeu de mots). Chris, un jeune étudiant, pense toujours au passé. Sa camarade Clare se tourne sans arrêt vers l’avenir. Chronotis perd le temps et la mémoire car il demande toujours si tout le monde veut une tasse de thé et il oublie ce qu’il a fait la veille. Quant au Docteur, c’est connu : à bord de son Tardis (une machine à voyager dans le Temps et l’Espace), il est plutôt du genre à aller contre le temps. Skagra, lui, veut l’arrêter et le contrôler puisqu’il veut devenir un dieu. Tout ce roman parle du temps qui passe, du temps qu’il reste, de la mémoire. Forge-t-elle l’identité ? Faut-il oublier certaines choses ? C’est un débat qui revient sans cesse dans nos informations, et surtout dans cette actualité où l’Extrême Droite revient en force : a-t-on oublié ce qui s’est passé ?
Enfin, ce livre aborde le thème du pouvoir et de ses dérives. Skagra veut devenir un dieu et, pour cela, il n’hésitera pas à tuer tout le monde. Les Seigneurs du Temps préfèrent endormir à jamais des personnes plutôt que de les remettre sur le droit chemin… On a bien une critique des dérives du pouvoir ici.
Pour mettre en œuvre ses thèmes, le livre met en relation des personnages qui nous permettent de jongler entre eux. On a le Docteur et Romana, qui ont une relation de profond respect mutuel. Il y a des non-dits entre eux, certes, mais ils le vivent bien et, surtout, cela ne les empêche pas d’avancer car ils regardent dans la même direction. Contrairement à Chris et Clare, deux étudiants amoureux mais qui ne savent pas communiquer. Et c’est ce qui les éloigne sans cesse. Chronotis, lui, perd la notion de sociabilité et ne peut plus rien faire car il est bloqué dans la même boucle : qui veut du thé, ses livres, son bureau. On sent qu’il ne voit plus grand monde et commence petit à petit à s’éteindre. Skagra, lui, refuse toute sociabilité pour devenir un méchant presque caricatural. La seule interaction qu’il supporte est celle de l’IA de son vaisseau, car elle est programmée pour l’adorer, littéralement. Et je trouve que cela en dit long sur son état d’esprit, vous ne trouvez pas ?
Alors, on a des thèmes forts et des personnages tout aussi charismatiques. Mais cela ne fait pas tout. Qu’est-ce qui vous fera aimer Shada ? Son style peut-être ? Sûrement. Pour mettre en œuvre à la fois l’humour et la légèreté qui caractérisent la série Doctor Who mais aussi tous ces sujets forts, Gareth Roberts utilise une « astuce » que Douglas Adams emploie fréquemment dans toutes ses œuvres : l’absurde. Cela rend des situations très comiques, comme le Professeur Chronotis qui demande toujours qui veut une tasse de thé. J’ai plutôt choisi d’y voir un petit clin d’œil à Alice aux Pays des Merveilles, alors que ce Docteur est un Seigneur du Temps. Il y a de l’action avec des chassés-croisés à vélo, tandis que le Docteur discute de vie et de mort avec une IA. C’est ce savant mélange et ces clins d’œil à Douglas Adams que j’ai beaucoup appréciés. Sans pour autant que ce soit une copie parfaite du style littéraire du scénariste.
Cela en fait un livre très sympa à lire et, surtout, qui nous permet de « vivre » ces trois épisodes de Doctor Who de manière très tangible. Il pourrait nous manquer la vidéo ou l’audio ? Je ne sais pas, car la personnalité de ce Docteur, incarné par Tom Baker, semble très présente (et pourtant, je ne l’ai qu’entraperçu aux 50 ans de la série. Il avait un je-ne-sais-quoi de malicieux). C’est un livre qui peut se lire tout seul et pourtant, il s’imbrique bien dans l’univers de Doctor Who. On y parle des Seigneurs du Temps et de Gallifrey sans aller sur leur planète, en restant tranquillement à Cambridge. On peut aussi faire des parallèles avec d’autres épisodes un peu plus modernes, et celui qui me vient à l’esprit est Pandorica is Open (un épisode du Docteur incarné par Matt Smith, dont les compagnons sont Amy et Rory). Sincèrement, je pense que cet épisode, et de fait ce livre, est à la fois un épisode dit classique (il se passe quelque chose et le Docteur vient tout résoudre), mais aussi une base de réflexion de Douglas Adams sur son monde.
Alors oui, quand on parle de Shada aux accros de la série comme moi, ce livre en devient culte. Ce n’est peut-être pas le mieux écrit, ce n’est peut-être même pas le meilleur épisode de Doctor Who. Mais… il est plus grand à l’intérieur, si vous voyez ce que je veux dire. Et cela correspond tout à fait à l’esprit de cette série. On s’y amuse et on réfléchit de manière impromptue sur des thèmes intemporels.
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