L’agneau égorgera le lion de Margaret Killjoy

Titre : L’agneau égorgera le lion

Auteur : Margaret Killjoy

Traducteur : Mathieu Prioux

Saga : Danielle Cain

Numéro de tome : 1

Maison d’édition : Argyll

Genre : Science Fiction

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Vous l’avez vu passer dans le coin ici, mais les éditions Argyll ont monté une collection : Récifs, qui regroupe des récits courts écrits par des femmes. Et dans les sorties de l’année dernière, il y a le premier tome de la saga Danielle Cain : L’agneau égorgera le lion, et c’est écrit par Margaret Killjoy.

Cette autrice fait partie de mes grosses découvertes de l’année dernière. Cette femme est aussi musicienne et activiste américaine. Son écriture est très engagée, et elle aime particulièrement écrire sur l’anarchie, sous toutes ses formes.

L’agneau égorgera le lion raconte l’histoire de Danielle Cain qui, après des années sur la route, s’échoue dans la ville de Freedom, menée par des anarchistes, pour enquêter sur le suicide de son meilleur ami, Clay. Elle découvre que la ville est protégée par un cerf rouge à trois bois, mais celui-ci commence à tuer les habitants.

Danielle, c’est une baroudeuse dans l’âme. On comprend assez vite qu’elle fuit un passé douloureux, mais pas de quoi en faire un personnage traumatique, juste une personne qui a du mal à trouver sa place dans ce monde. Elle aurait une seule attache, Clay, mais il s’est donné la mort. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’il parlait souvent d’une ville où il avait habité : Freedom. Alors, Danielle y va, découvre le fonctionnement d’une ville anarchiste, l’entité qui la protège aussi, et ses habitants. Le vernis va s’effriter bien entendu, au fur et à mesure que l’on découvrira comment s’articule cette communauté. Quel est le lien entre Freedom et le suicide de son meilleur ami ? C’est ce qui nous tient pendant cette novella. Et surtout, c’est quoi ce cerf très bizarre, qui est très effrayant malgré cette aura de protecteur qu’on lui prête ?

Ayant déjà lu Un pays de fantômes, qui présentait déjà deux modèles de société anarchique, je me suis demandé si on allait repartir sur le même ou sur un troisième. Le point intéressant, c’est que dans le roman précédent, c’était un pays en relative autarcie. Qu’est-ce que cela pourrait donner dans une ville intégrée à un pays comme les États-Unis, un pays qui est tout sauf anarchiste, car la ville ne peut pas être isolée, non ? Eh bien si, s’il y a un gardien pour cela. Et c’est uniquement comme ça qu’on le présente. Ensuite, on part un peu sur le même principe qu’Un pays de fantômes, dans le sens où chaque personne va prendre une tâche à faire. Il n’y a pas besoin de capitalisme au sein de la ville non plus, car tout est communautaire. J’avoue qu’ayant adoré Un pays de fantômes, j’avais très envie de reprendre mes marques dans un lieu anarchiste, car, pour moi, c’est ce qui s’approche le plus d’une utopie.

Mais voilà, il y a ce cerf franchement flippant. On se rend compte au fur et à mesure que c’est une entité invoquée, mais qu’elle ne fait pas que protéger : elle tue les habitants de Freedom eux-mêmes. Et là, c’est tout sauf idyllique. Surtout qu’au départ, il n’y a pas l’air d’avoir une méthode, quelque chose de réfléchi dans ses exécutions. Quelle est la cause ? Eh bien, Danielle et ses nouveaux amis, Brynn, Jeudi et Jugement, se rendent compte très rapidement que celles et ceux qui sont tués, ce sont celles et ceux qui prennent de l’ascendant sur les personnes du village, celles et ceux qui aiment le pouvoir. Ainsi, on passe d’une utopie géniale – un village anarchiste où toutes les personnes désirant vivre dans ce mode de vie peuvent se réfugier, même dans un pays comme les États-Unis, et cela fait vraiment sens dans notre contexte politique actuel – à une dystopie où l’entité censée nous protéger nous détruit. Et je le répète, à la lumière des événements récents dans le monde, cela fait sens. Je sais, pour avoir regardé un peu des choses sur Margaret Killjoy, qu’elle fait des expériences pour établir une communauté anarchiste dans son coin. La question se pose vraiment. Dans ce livre, il semble qu’un village anarchiste échoue. Je me demande quelle part de vie il y a dans cette novella. Quant à la question du livre, elle est dans l’analyse du pourquoi cette utopie est devenue une dystopie. Allons voir !

Autour de notre village veille ce cerf. On sait qu’il protège le village de l’extérieur, mais qu’il tue des habitants dès qu’ils prennent de l’ascendant. Et ils n’arrivent pas à le tuer. Les habitants de Freedom subissent ainsi une véritable violence physique extrême : le risque d’être tué. Mais aussi une violence psychologique, car tout le monde se demande qui va être le prochain. La seule option serait de fuir. Comme Clay. Mais il s’est suicidé. Pourquoi ? Pour vivre dans un village anarchiste, doit-on contrôler ses pensées ? Ou plus ? Quel est le prix à payer pour cette idée ?

Je vais plus loin. Pour maintenir une société anarchiste, doit-on utiliser la peur ? Est-ce que la violence est la seule solution pour maintenir une société sans règles ? Est-ce que Clay est parti et a mis fin à ses jours parce qu’il s’est rendu compte qu’il avait échoué dans ses idées ? Est-ce qu’il s’est rendu compte qu’il commençait à avoir de l’ascendant ? Est-ce que son acte n’est pas une ultime forme de résistance à l’attrait du pouvoir ? Ça, c’est intéressant !

Que représente le cerf ? Quand j’ai lu cette novella, le cerf m’a tout de suite fait penser à un concept sociologique qui est : le Léviathan, établi par Thomas Hobbes en 1651. Le principe qu’a énoncé ce philosophe est simple : près d’un village, il y a un monstre. En échange d’une partie de leurs droits et de leurs ressources, les habitants font un pacte avec cette créature pour être protégés. Ça matche, hein ? Le cerf, ici, est une force surnaturelle et toujours présente qui va imposer ses règles sans explication ni justification. Le village est donc devenu un État, mais sans organe judiciaire. Mais cela veut dire que les personnages, pour rester anarchistes et se protéger de l’État où ils sont, invoquent une entité qui représente l’État !

La seule manière pour eux d’échapper à cela, c’est de tuer le cerf (donc l’État). Mais pour cela, ils doivent s’affranchir totalement de leur attraction vers le pouvoir et la violence. Et ça ne marche pas. Mais cet échec est super intéressant à analyser.

Pour terminer, les concepts sont géniaux. Mais quid de l’intrigue ? C’était difficile de ne pas vous en parler, car il est très facile de dévoiler des choses sur une novella. Mais cela fonctionne. Quant au style de l’autrice, il est très efficace. J’ai hâte de voir la suite des aventures de Danielle Cain. Qu’est-ce qu’elle va nous réserver ? Est-ce que ce roman est une vision défaitiste de l’anarchie ? Je ne pense pas. L’autrice nous donne les clés pour éviter l’échec, et je pense qu’elle le tire de ses enseignements personnels. Et c’est ce que je retiendrai de cette histoire.

Si vous avez aimé ce livre, tentez le coup avec :

  • Les Dépossédés – Ursula K. Le Guin
  • Un pays de fantômes – Margaret Killjoys
  • Gideon la Neuvième – Tamsyn Muir
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5 réponses à « L’agneau égorgera le lion de Margaret Killjoy »

  1. Avatar de mielou35
    mielou35

    J’ai découvert Margaret KillJoys par cette novella, et ça a été un vrai coup de coeur pour moi aussi ! Le deuxième tome paru récemment est tout aussi bien, ce qui m’a vraiment donné envie de lire Un pays de fantômes !

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    1. Avatar de Koré

      Le deuxième tome est déjà lu (juste que je suis super en retard dans mes reviews mais toi même tu sais, on a fait tellement de choses ^^)
      Franchement, Un pays de Fantômes est mon préféré. Par contre, question : Est ce que Danielle Cain pourrait donner envie de lire ton livre sur les vampires que tu as présenté pour la Spéciale du Dimanche ? :D

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      1. Avatar de mielou35
        mielou35

        Effectivement, il y a un peu la même vibe « rebelle » et « vie en dehors des standard de la société » ! C’est pas exactement la ambiance, celui que j’ai présenté pour le 8 mars, c’est plutôt de l’urban fantasy, mais y a de l’idée ! Les 2 m’ont un peu fait le même effet :)

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