Couverture du livre Hard Mary de Sofia Samatar

Titre : Hard Mary

Auteur :Sofia Samatar

Maison d’édition : Argyll

Genre : Science-Fiction

Où trouver le livre ? Clique ici

J’avais très envie de le lire, ce livre, quand j’ai reçu le mail de nouveautés des éditions Argyll. Je pense que leur collection Récifs m’a portée toute l’année. Ce titre, c’est Hard Mary de Sofia Samatar, qui est la dernière novella de cette autrice que je ne connaissais pas du tout. C’était donc la porte d’entrée qui me fallait. Hard Mary, c’est l’histoire de jeunes filles qui font le tour d’une étable pour, selon les histoires, trouver le nom de l’homme qu’elles vont épouser. Et c’est sur une androïde de Profane Industries sur qui elles tombent. Elles l’adoptent et l’humanisent.

Au travers de cette histoire de communauté religieuse, Sofia Samatar met en lumière la place de la femme.


Nos héroïnes sont des jeunes filles qui vivent dans une communauté religieuse fermée qui est inspirée par la communauté des Amish ou des Mormons. J’avoue ne pas beaucoup connaître les subtilités entre ces communautés, mais ce que l’on peut en retenir, c’est que leur vie est entièrement réglée par la foi, la tradition et elles sont soumises à l’autorité patriarcale. Cela leur donne surtout très peu de place pour leurs réalisations personnelles. Elles ne vivent que par leur rôle de futures mariées et de futures mères. Elles n’ont pas de place pour exprimer leur curiosité, leurs avis, leur personnalité, non plus. De même, elles n’ont aucune notion de ce qui se passe en dehors de leur communauté. Ce village sert, pour l’autrice, à nous installer un huis clos qui met en lumière un système oppressif pour des femmes qui n’ont aucune voix propre.

Et nos jeunes femmes ne s’en rendent absolument pas compte car elles vivent dans ce système. Sauf qu’on a un élément déclencheur : une androïde qui est là, on ne sait pas pourquoi. Elles auraient pu la remettre aux autorités du village, mais elles décident d’avoir un projet personnel : réparer cette androïde, de la nommer : Hard Mary et, plutôt que de la rejeter, de l’intégrer. Hard Mary, elle est différente. Elle n’est pas tout à fait humaine, pas tout à fait machine. Des filles pourraient la rejeter, avoir peur d’elles. Mais elles décident de faire preuve de sororité. Et en décidant de prouver aux hommes du village que c’est une personne, elles se posent des questions sur leurs propres conditions. La toute première est : Qu’est-ce que vivre ? Est-ce tenir son rôle dans une communauté ou est-ce se réaliser ? Ensuite, qu’est-ce qu’une femme idéale ? Est-ce sa capacité de travail, sa capacité à se reproduire ? Quelle est la valeur d’une femme dans cette communauté et surtout comment les hommes voient les femmes dans cette communauté ? Et ainsi, dernière question qu’elles se posent : Faut-il accepter ce que l’on nous dit comme argent comptant ou faut-il remettre en question ce que l’on nous impose ?

Ensuite, en regardant évoluer Hard Mary, elles découvrent que cette androïde est un miroir sur leur condition. Mary est une femme, mais pas tout à fait. Elle a été construite par des hommes et programmée pour obéir. Et c’est exactement dans ce cadre-là qu’elles évoluent : elles sont élevées pour obéir et se soumettre d’abord à leur père, et ensuite à leur mari. Et pourtant, ce n’est pas une question de foi, de religion. Et même si elles veulent l’accueillir dans leur communauté, elles choisissent d’abord de la déprogrammer et en fait, on parle de leur déprogrammation à elles. Elles voient qu’il y a autre chose que leur communauté et qu’elles peuvent réaliser quelque chose pour elles-mêmes

Parce que Hard Mary, elle a tout pour se faire rejeter par la communauté. En effet, Jericho repose sur l’artisanat et l’agriculture. Il n’y a pas de télévision et très peu de contacts avec l’extérieur. On se demande même comment nos héroïnes parviennent à réparer Hard Mary car ce genre d’outils est prohibé, caché. Hard Mary représente le monde technologique, une espèce d’irruption du futur dans un monde totalement figé dans le passé. Vous aurez donc une grande partie de la communauté qui risque d’être hostile car elle représente le changement. Peut-on préserver l’authenticité d’une communauté sans se fermer au monde ? Ça, c’est une question intéressante et c’est un enjeu quotidien. Combien de fois on n’a pas sorti cette fameuse phrase : « c’était mieux avant »? Comment peut-on survivre dans le monde sans évoluer ?

Ce livre parle de liberté. Or qui l’est dans Jericho ? Les femmes qui naissent humaines dans une société oppressante ou une machine dont on enlève la programmation et qui a une chance d’échapper aux règles sociales ? Ce texte est fort dans le sens où il joue totalement sur l’ambigüité de ces deux formes d’asservissement : le patriarcat et la programmation. Et elle démontre surtout que les chaînes ne peuvent être brisées que par les femmes.

Hard Mary est un procès de l’Humanité


Tout le long du récit, notre narratrice va démontrer, en fonction des écrits religieux, que Hard Mary peut faire partie de l’humanité : C’est une créature pensante. Elle ne consomme que ce dont elle a besoin. Elle est aussi innocente qu’un enfant. Elle rêve. Elle espère, mais pas trop. Elle se languit de la demeure céleste. Si elle se perd, elle peut revenir…

Ce plaidoyer, c’est un paradoxe car elle ne défend pas que Hard Mary, elle se défend elle-même. Car la défendre, c’est défendre l’idée que les femmes de la communauté sont aussi des personnes à part entière. Je vous disais que cet androïde était un miroir pour ces femmes et c’est exactement cela : si les hommes refusent de la reconnaître comme humaine, ils confirment qu’ils refusent de voir la pleine humanité de leurs propres filles et de leurs propres femmes.

En faisant cela, elles font une inversion des rapports de pouvoir. D’ordinaire, ce sont les hommes qui décident du vrai, du juste, de la foi. Ici, c’est la narratrice qui se hisse au niveau d’un théologien et elle force les hommes à entrer dans son jeu d’argumentation. Qu’elle gagne ou non n’a pas d’importance, parce que le simple fait que son argumentation existe démontre que la vérité peut émerger d’une voix qu’on n’entend tout simplement pas d’habitude. C’est un changement de l’intérieur.

Aussi on peut se poser la question : est-ce que Hard Mary est un texte de théologie ou est-ce un texte de science-fiction ? Et pourquoi pas les deux ? Je sais, par exemple, qu’il y a une rumeur très persistante qui dit que l’Église elle-même a débattu de l’existence de l’âme chez la femme. On attribue cette légende au Concile de Mâcon qui a eu lieu en 585, mais cette rumeur s’est apparemment développée entre le XVème et XVIème siècle. Pour cela, je vous conseille un podcast des Nuits de France Culture, Histoire des femmes par Michelle Perrot (épisode 5). Cependant et actuellement, on se pose beaucoup de questions sur la personnalité juridique des machines, des intelligences artificielles par exemple. Ce débat sur l’androïde montre, selon l’autrice, que les débuts théologiques avec les enjeux féministes et contemporains ne sont pas clos.

Hard Mary, sous couvert d’une histoire de science-fiction avec une androïde dans une communauté religieuse, cela met en lumière une jeune fille qui met en lumière une certaine hypocrisie des religieux qui prônent des principes d’accueil et de charité alors qu’ils ont plutôt tendance à rejeter ce qui est étranger et inconnu.

Dans Hard Mary, on voit deux types de femmes.


On a les femmes qui partent. Celles qui choisissent la fuite, l’exil, la libération. Partir, c’est franchir la frontière, c’est refuser le patriarcat de la communauté. Et cela demande un courage de dingue, de tout abandonner, de s’élancer sans filet comme cela pour rester dans ses propres convictions.

Et puis on a celles qui restent, celles qui demeurent dans l’enfermement de la communauté. Mais ce sont elles qui gardent le souvenir de ce qui s’est passé. Et elles ont initié aussi ce changement pour qu’il soit possible. Elles ne sont pas libres extérieurement, mais elles deviennent le vecteur d’un changement intérieur.

Hard Mary a été un déclencheur, une étincelle qui va embraser des consciences. Il n’y a pas non plus plus de courage entre celles qui restent ou celles qui partent, mais on a plus tendance à mettre en avant les personnes qui partent dans les romans. Ici, l’autrice nous montre le point de vue de celles qui restent. Elles n’auront plus de lien avec celles qui sont parties, leur lien symbolique reste : certaines agissent par le geste : partir, et les autres par le verbe, par l’argumentation et le témoignage, par leur seule présence, elles deviennent une faille dans cette communauté. Leur position est duale : enfermées mais éveillées. On peut même aller plus loin. Elles deviennent une figure de prophète : elles n’accompagnent pas l’événement, mais elles le déclenchent et le gardent en mémoire. Leur vie est transformée de l’intérieur.

Hard Mary et Sofia Samatar.


Sofia Samatar est est née en 1971 dans l’Indiana. Son père, Saïd Sheikh Samatar, est un éminent historien somalien. Sa mère, elle, est une mennonite germano-suisse. C’est en Somalie qu’ils se sont rencontrés. Le mennonisme, c’est un mouvement chrétien anabaptiste. Une partie de ce mouvement rejette, d’ailleurs, le progrès technologique. Elle a vécu dans beaucoup de pays, suite aux déplacements de son père, pour suivre une scolarité dans une école mennonite. Et elle a continué la tradition familiale puisqu’avec son mari, l’écrivain Keith Miller, elle a enseigné l’anglais au Soudan puis en Égypte. Elle enseigne depuis 2020 en Virginie la littérature africaine, la littérature arabe et la fiction spéculative.

Cette autrice aime écrire sur la parole et la mémoire et on le voit dans sa duologie Un étranger en Olondre qui est l’histoire d’un homme hanté par une jeune femme morte qui exige que son histoire soit racontée : Et dans la suite, the Winged Stories qui n’est pas encore traduit, ce sont quatre femmes qui vont apporter d’autres points de vue de cette histoire. Cela rejoint bien Hard Mary de par sa vie propre et ses écrits antérieurs où on a des narrateurices qui deviennent une mémoire vivante de ce qui s’est passé.

Dans son essai The White Mosque, elle raconte aussi l’histoire d’une communauté mennonite partie s’installer en Asie centrale, ce qui raconte une belle rupture avec ce qu’ils ont toujours connu. Ça montre bien cette dualité avec ceux qui restent et ceux qui partent, je trouve, ce dilemme entre le voyage et l’enracinement.

On part souvent dans son univers dans un endroit clos, fermé, qui se fissure par un élément extérieur. Et c’est exactement le thème qu’on retrouve dans Hard Mary. Enfin, l’autrice aime porter notre vue sur des voix marginalisées, celles qu’on oublie ou qu’on écarte, rarement à des héros ou des héroïnes classiques.

Hard Mary et la critique


C’est un roman qui a du mal à être noté, j’ai l’impression. Les gens ont l’air d’être déstabilisés par l’atmosphère du récit, en France. Peut-être parce qu’on est moins familiers des communautés religieuses en vase clos ? Je ne sais pas du tout. Et pourtant, il trouve son public grâce à sa fin ouverte, à sa narration un peu particulière et son format court.

Et cela a l’air similaire dans les revues anglophones. C’est qualifié, selon la revue Lightspeed, d’Above average Story : une histoire au-dessus de la moyenne. C’est souvent beaucoup d’interrogations sur la nature même du récit : est-ce un texte sur le divin ? Ou alors un texte de science-fiction ?

Pour ma part, c’est un texte qui a mis du temps à faire son chemin. Au début, j’ai beaucoup aimé l’argumentation de la narratrice pour démontrer que Hard Mary peut être intégrée à la communauté. Cela m’a parlé. Et puis, j’ai été très frustrée de ne pas avoir suivi la finalité de l’histoire de Hard Mary. Et puis, je me suis dit que ce n’était pas cela l’important, mais bien cette étincelle qui a provoqué ce changement. Et puis, j’aime beaucoup aussi le format court qui nous oblige un peu aussi à imaginer la suite par nous-mêmes. Ce récit est exactement comme cette histoire ! Un déclencheur. A nous de faire le reste. Vous voyez ?

Que lire après Hard Mary ?

  • L’évidence serait de vous proposer la Servante écarlate de Margaret Artwood. Pour raconter comment une société peut enfermer les femmes uniquement dans un rôle.
  • Un roman qui m’a énormément marquée quand j’étais adolescente : Une femme qui ne disait rien de Michelle Schuller, qui pour moi fait écho dans ce roman. C’est l’histoire d’une femme qui raconte la vie des hommes autour d’elle alors qu’elle est totalement effacée. C’est l’histoire d’une femme qui reste.
  • Et en parlant de dilemme entre femme qui reste et femme qui part, j’ai envie de vous proposer La couleur pourpre d’Alice Walker.
Posted in , , , , ,

Une réponse à « Hard Mary »

  1. Avatar de mielou35
    mielou35

    Je crois que j’ai beaucoup moins été en profondeur que toi dans l’analyse de cette œuvre XD

    J’ai moins apprécié le livre que j’espérais, en partie je pense parce que j’ai eu du mal à m’attacher à l’héroïne / aux héroïnes. Je ne saurais pas trop dire pourquoi, mais mon cœur ne battait pas pour elles.

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire