
Titre : La lance de Peretur
Auteur : Nicolas Griffith
Maison d’édition : Argyll
Genre : Fantasy
Traductrice : Marie Koullen
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J’avais un peu envie de nouveauté dans mon mythe Arthurien. Et il y a quelques mois déjà, je m’étais procurée la Lance de Peretur de Nicola Griffith. Je savais que c’était une réécriture queer et je ne connaissais pas du tout l’autrice. Alors, j’ai vite fait pris les renseignements avant de valider mon achat.
C’est là que j’ai appris que Nicola Griffith est née en 1960 à Leeds et qu’elle a commencé les fouilles archéologiques romaines depuis ses 15 ans et qu’ensuite elle a suivi des études en microbiologie, puis s’est lancée dans un groupe de musique dont elle a été la leader, et enfin elle a pratiqué des arts martiaux. Puis, en 1989, elle migre aux États-Unis avec sa compagne et depuis 1993, elle a été diagnostiquée avec la sclérose en plaques. Elle est depuis devenue une figure du mouvement #Criplit (littérature et handicap) pour la visibilité et les droits des personnes en situation de handicap.
Quand on voit ce genre de chemins de vie, on se dit que cette autrice a des choses à dire. Vous ne pensez pas ? J’ai donc regardé un peu sa bibliographie, histoire de faire un peu plus connaissance, et je découvre qu’en 1993, elle a écrit un roman de science-fiction féministe du nom d’Ammonite ainsi que Slow River en 1995. Mais aussi des thrillers noirs, des fresques historiques autour de Sainte Hilda de Whitby (Hild et Menewood en 2013 et 2023) et So Lucky en 2018 qui est un roman autobiographique sur sa maladie. Et puis en 2022 sort La Lance de Peretur. Personnellement, à ce moment-là de mon petit scroll sur Internet, j’étais prête à changer de vie pour lire tous les livres de Nicola Griffith tant cela a l’air passionnant, mais autant commencer par la Lance de Peretur, histoire de bien commencer.
Dans la vallée de la Tiwi vit une jeune fille et une mère dans une grotte. Cette jeune fille a plusieurs noms mais aucun n’est le sien. Par le truchement de hasards, elle rencontre des chevaliers de la cour de Caer Leon, puis le roi Artos qui tente de trouver un artefact divin. C’est là qu’elle perçoit l’appel du Lac et de son occupante : Nimüe.
A vue de nez, comme cela, on se dit que l’autrice a « juste » réécrit une légende du roi Arthur mais version queer avec un changement de genre pour un des chevaliers de la Table Ronde. Et pourquoi pas, vous allez me dire ? Ce n’est pas cela qui manque. Et puis, de plus en plus, je ne me sentais plus vraiment dans la légende du Roi Arthur mais bien avec un petit goût de Codex Merlin de Robert Holstock, avec un soupçon des Rois du monde de Jean-Philippe Jaworski. Des romans résolument masculins en plus. Eh bien, La lance de Peretur, cela remonte un peu aux origines de la légende Arthurienne, en prenant appui sur certains de ses vieux récits, avant la christianisation du mythe. Mais elle ne fait pas que cela, car en Peretur, on ne voit pas seulement un chevalier, on suit une fille élevée en marge, sans nom, sans code, qui refuse d’endosser le rôle tant attendu quand on se lance dans ce genre de roman initiatique. La lance de Peretur, ce n’est peut être pas qu’une réécriture de l’histoire du Graal, mais c’est aussi une réécriture de la place de la femme dans le roman initiatique, et cela en donne aussi un autre regard sur la cour du Roi Arthur.
Déjà, on sait que Peretur n’a son nom véritable qu’au moment de son départ. Cette héroïne n’est pas nommée. On ne connaît pas vraiment son origine non plus. Et si l’on regarde bien, l’autrice ne s’est pas forcément inspirée du Perceval que l’on connaît bien, mais d’une légende encore plus ancienne, le Peredur Ab Efrawg, un texte qui fait partie du Mabinogien, un recueil de contes gallois médiévaux rassemblées entre les XII et XIV siècles, mais en vrai, cela faisait partie de la tradition orale qui donne une vision un peu plus archaïque et sombre de Perceval. Voilà ce qui se passe en très rapide : Peredur est élevé par sa mère dans l’isolement et il quitte son ermitage pour rencontrer des chevaliers. Il est complètement fasciné et veut en devenir un. Sauf que, lorsqu’il arrive à la Cour du roi Arthur, il ne connaît pas les codes de chevalerie.
Il traverse bien entendu des épreuves initiatiques. Surtout, il découvre un château étrange où un homme blessé est allongé. On lui présente un plat mystérieux qui contient une tête ensanglantée. Sauf que Peredur, il ne pose pas de questions, ce qui provoque un déséquilibre. Il devra donc faire plein de quêtes pour rétablir l’ordre, venger sa famille et atteindre une certaine forme de sagesse. Avec Peretur, on commence un peu comme cela, sauf que lorsqu’elle rencontre les chevaliers du roi Artos, certes, elle veut en être, mais pas pour juste être chevalier. C’est juste que les brigands sont en train de ruiner le pays et que pour elle, la seule solution reste les chevaliers. Sauf qu’à la Cour du Roi Artos, ce qui importe, c’est la quête des objets de pouvoir. Excalibur est déjà trouvée, manque le Graal. Et Merlynn est introuvable. Artos mobilise donc toute son attention à la recherche de ses artefacts. Dans Peredur, les femmes représentent souvent un obstacle ou un test alors qu’ici, les femmes sont des passeuses de savoir et de pouvoir. Et ce pouvoir ne passe pas par la servitude envers le roi Artos mais pour le bien du peuple breton. Intéressant non ?
Qui plus est, je vous l’ai dit plus tôt, Peretur n’est pas nommé de suite. Et cela aussi fait partie d’une tradition anté-chrétienne. En effet, dans l’Antiquité, donner un nom n’est pas neutre. C’est reconnaître une existence sociale et mythique. Avoir un nom, c’est exister dans l’Histoire, le perdre, c’est effacer la personne de la mémoire collective. Certaines cultures accordaient une espèce de pouvoir dans le nom. C’est pour cela que certaines personnes avaient des noms différents selon la situation où elles se trouvaient. Car connaître le nom d’une personne, celui qui reflète le plus sa personnalité, c’est avoir du pouvoir sur lui. Si Ellen, la mère de Peretur, ne veut pas lui révéler son nom, c’est pour la protéger. Mais en le lui donnant, elle la propulse dans le monde : pour lui donner du pouvoir car elle se connaîtra entièrement, mais aussi cela lui enlève une protection. En fait, à la fin de l’Antiquité et au début du Moyen Âge, le christianisme a métamorphosé la logique du nom et s’est approprié : les baptêmes changent l’identité. Les catholiques se sont emparés de la symbolique des noms, surtout en forçant les gens à baptiser leurs enfants très tôt. C’est bien pour cela que, maintenant, on a des almanachs de prénoms, qu’on refuse de donner certains prénoms maintenant et que le changement de prénom dans un état civil n’est pas du tout anodin. C’est de tout cela que cela vient !
Et nous, on a cette gamine, qui n’a pas de nom, qui découvre des pièces d’armure au fur et à mesure et qui se forme sans mentor à l’art du combat. Pendant ce temps-là, elle fait ses preuves toute seule pour se dire que cela lui donnera les clés de la cour du roi Artos en améliorant le quotidien des gens. Sauf que le roi la rejette car lui, ce qu’il voit, c’est le pouvoir. Il sent que Peredur pourrait lui enlever Excalibur. Chose prouvée parce que, évidemment, il y a eu une prophétie. Est-ce que cela va pousser Peredur à faire des quêtes insensées pour gagner sa place auprès des chevaliers ? Et bien… Non. Alors oui, elle fait la quête du Graal mais pas pour le Roi Artos, ce n’est qu’un prétexte. La quête du Graal, pour elle, c’est un retour à ses origines. C’est la protection de sa mère. C’est aussi la possibilité de choisir le nom de partager ce pouvoir avec le roi Artos.
Et c’est là que de la relecture du mythe du Graal, on réécrit la place de la femme dans ce mythe. Ici, les femmes ne servent pas la cause du roi Artos, ne sont pas des épreuves, des tentations, comme on l’a vu depuis la christianisation de la légende de la Table Ronde. Non ! Ici, les femmes ont le choix. Soit de servir le pouvoir comme Guenièvre (désolée, je n’ai pas retenu le nom donné dans la Lance) en voulant à tout prix procréer et assurer une descendance au roi Artos. Ce qui est en gros, le rôle de la femme prévu depuis le Moyen Âge et l’un des deux objectifs de vie dans le christianisme (le deuxième étant, bien entendu, devenir un objet de tentation). Ici, la magie ne se transmet pas au mérite, elle ne se transmet pas au pouvoir en place. Peretur, elle choisit ce qu’elle va faire de son pouvoir. Et si le roi Artos ne remplit pas ses conditions, et bien elle refuse de servir sa cause.
Parce qu’en fait, dans ce roman, Artos, ce n’est pas l’Arthur flamboyant qui réunit toute la Bretagne dans le but d’atteindre ce goal de Sainteté qui donnera comme récompense le Graal (et pourquoi pas une descendance). Et bien ici, on voit Artos pour ce qu’il est : un roi qui ne protège pas les gens de son pays puisqu’il mobilise toute sa force armée pour trouver le Graal et non pour assurer sa mission de protection. De plus, lorsque Peretur arrive à la Cour, alors qu’elle a démontré sa valeur, il refuse de lui accorder une place parce que, tu comprends, elle voudrait peut-être lui enlever son épée. Et pareil pour Merlynn en fait, de magicien très sage qui guide le roi Artos, on découvre que c’est un magicien assoiffé de pouvoir lui aussi
Aussi, ce que l’autrice tend à démontrer dans ce roman, c’est que si les hommes s’appuient sur le pouvoir des femmes (leur talent, leur réputation, leur fécondité, leur force de travail) pour asseoir le leur, et bien, les femmes peuvent le leur retirer. Et cela rompt le cycle. C’est ce que je ne fais pas, Guenièvre, par exemple. Elle joue le jeu. Alors que Nimüe, Peretur, Ellen (sa mère), elles, elles ne permettent pas aux hommes de leur prendre le pouvoir. Et Nicola Griffith nous fait cela dans un roman, dans un contexte d’Antiquité tardive, proche du Moyen Âge. Elle remet la place des femmes dans l’Histoire. Elle refuse que les femmes soient oubliées ou qu’on minimise leur rôle.
Ce roman n’est pas là pour réécrire le mythe arthurien, il n’est pas là pour le construire. Il refuse de répéter Camelot en fait. Et tout cela grâce à Peretur qui est une femme, qui se fait passer pour un homme mais qui n’en fait pas non plus un acte militant. En vrai, on a eu des tonnes de changements de genres de femmes qui passent au genre masculin, que ce soit totalement en changeant d’identité comme le Chevalier Silence ou tout simplement en endossant une armure et en menant une armée (coucou Jeanne d’Arc ou Aliénor pour ne citer que les exemples qui me viennent tout de suite). Peretur n’est pas un héros. Elle n’est pas une élue. Elle n’existe pas comme objet de désir pour les hommes. Elle est comme beaucoup de femmes : elle est là, elle fait le job avec les cartes qu’on lui donne. Mais elle refuse aussi les rôles qu’on veut lui imposer. Elle refuse les récits figés (comme cette fameuse prophétie qui dit qu’elle volera Excalibur à Artos). Elle choisit ses armes, elle choisit ses combats et elle choisit comment servir au mieux.
C’est pour tout cela que ce roman, La Lance de Peretur, est incroyable. C’est un court roman qui ne va pas partir dans de grandes envolées spirituelles pour nous faire réfléchir. L’autrice nous pose des bases qu’elle connaît car on rappelle qu’elle est naitre en Angleterre et qu’elle a étudié l’Histoire et l’archéologie. Elle nous donne ses combats comme le féminisme et le combat pour l’égalité pour les handicapés. Et elle mélange tout cela pour nous faire une courte histoire qui pourrait nous faire réfléchir à tout cela en s’égarant un peu sur une ou deux notions. Elle donne aux femmes un rôle dans l’Histoire. Parce qu’en vrai, la quête du Graal, on n’a que la version des mecs depuis des années. Et quand les femmes s’en mêlent, on a toujours ce rapport hommes-femmes qui est plutôt tendu. Ou alors on la noie sous le romantisme. Ici, c’est juste une histoire d’une femme qui veut que son pays s’améliore tout en en découvrant sur sa nature et ses origines. Et c’est déjà pas mal non ?
Si vous avez aimé ce roman et que vous souhaitez le confronter un peu avec d’autres versions , je vous conseille :
- la version un peu mascu avec Codex Merlin de Robert Holstock. En vrai, j’ai adoré cette trilogie et cette vision qu’il a de Merlin. Mais si vous la mettez avec celle de la Lance de Peretur, vous aurez l’impression de voir deux visions opposées de la mêmes personnes. J’adore ces jeux d’esprit.
- Trois coracles cinglaient vers le couchant de Alex Nikolavitch. Ce livre m’a redonné un regain d’intérêt pour les légendes du roi Arthur. J’en garde le souvenir d’une lecture au fil de l’eau.
- Le cycle les Rois du Monde de Jean-Philippe Jaworski pour cette manière très particulière qu’a cet auteur de mêler l’histoire à la magie. Je ne sais pas bien l’expliquer moi même mais l’ambiance de la Lance de Peretur m’a rappelée ce roman. Allez savoir pourquoi. Mais si vous le devinez, venez m’en parler dans les commentaires :)
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