
Titre : La cité des marches
Auteur : Robert Jackson Bennet
Saga : Les Cités divines
Numéro de tome : 1
Maison d’édition : Albin Michel
Traductrice : Laurent Philibert-Caillat
Illustrateur : Didier Graffet
Genre : Fantasy
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Robert Jakson Bennett, je l’ai découvert grâce à sa trilogie Les Maîtres Enlumineurs qui a été une claque. Et le plaisir en avait été décuplé parce que je l’ai lu en duo avec ma fille. Et notre enjeu avait été de trouver une autre lecture commune à la hauteur. Heureusement pour nous, les hasards de la traduction ont fait que la nouvelle trilogie de l’auteur : les Cités divines, commençait à sortir. Et c’est ainsi que nous nous sommes embarquées dans la Cité des marches, le premier tome, paru chez Albin Michel. Et qu’est-ce que cela raconte ? On est sur la ville de Belikov, une cité qui est entièrement régie par des divinités. Sauf qu’il y a eu un événement que l’on nomme le Vacillement et les dieux ont disparu. Cela a complètement brisé la cité qui est entrée sous la houlette de l’Empire de Saypur, un empire laïc qui interdit toute religion. Un historien saypurien est assassiné et pour enquêter sur ce meurtre, c’est une espionne se faisant passer pour une diplomate qui arrive : Shara Thivani. On suivra son enquête. Mais est-ce que cette histoire est de la même qualité que les Maîtres enlumineurs ? Tout à fait ! Sous un angle et un univers totalement différent, on retrouve tous les ingrédients qui font que l’auteur nous offre des sagas de qualité avec autant de réflexions que d’amusements !
Une cité dont on a effacé l’Histoire
Dans la Cité des Marches, on découvre Boulikov qui est une cité autrefois magnifique mais qui est maintenant occupée par Saypur. Déjà, nous sommes surpris car ce n’est pas du tout la dynamique habituelle que l’on retrouve dans un roman de fantasy. On n’est pas sur une nation coloniale qui domine un empire barbare ou magique. Saypur est une ancienne colonie dont on a vaincu les divinités. On pourrait croire que c’est pour une nation égalitaire et affranchie de toute type de domination. Mais non. Il reproduit exactement la même chose. Mais en retirant la foi religieuse, parce que Saypur se veut être une nation laïque et rationnelle. Donc, pour retirer les « mauvaises habitudes » des cités divines, elle interdit toute représentation religieuse et tout objet magique est parqué dans un entrepôt. Saypur pratique ici une forme de colonialisme moral et culturel et on a déjà vu cela, provoqué par le colonialisme européen. En le transposant dans un univers moderne, on mesure plus les impacts. Cela devient tangible. Et avec le côté divin de la cité, on voit les conséquences directes et matérielles de cet effacement de la mémoire collective : des bâtiments perdent leurs portes, des escaliers mènent nulle part. La population est silencieuse
Et pourtant, la mémoire est toujours là
Et pourtant, même si les dieux sont tués, ils sont encore présents. Au tout début du roman, on a un procès sur une enseigne de commerce qui utilise un visuel divin. Cela montre que peu importe la répression, on garde en nous une certaine mémoire collective, une certaine culture. Je vous donne un exemple. En 1789, plus d’un quart de la population française ne comprenait pas le français. Le 25 mai 1794, l’Abbée Grégoire recense plus de 35 patois différents et cela le contrariait beaucoup. C’est en 1870 que la langue française seule est imposée. Et pourtant, presque 200 ans plus tard, certains patois, ou langues régionales, sont toujours là. Certains panneaux de villes sont traduits. L’auteur nous montre via Saypur que, quoi qu’on fasse, il restera toujours un petit bout du passé, qu’il fait toujours partie de notre identité, peu importe si l’Histoire a été réécrite. Il montre aussi que nos villes sont aussi le reflet de notre histoire. Si on l’efface, elle perd de son essence. Dans Bulikov, des miracles persistent : il y a des passages qui mènent dans d’autres lieux, par exemple.
L’enquête comme outil de révélation
Et pour rechercher un peu ce passé auquel nous, lecteur, on n’a pas accès, Robert Jackson Bennett décide de prendre le biais de l’enquête policière. Parce que si on est dans un roman de fantasy, ce qu’on lit, c’est bien un roman policier ! Un historien qui étudie des objets divins a été assassiné. Est-ce parce qu’il avait des ennemis ou est-ce à cause du sujet qu’il étudie ? Et Shara, elle doit enquêter sur ce sujet alors qu’elle vient du monde colonisateur. Donc, en plus, elle n’a pas les codes, ce qui va nous permettre à nous de gratter la surface petit à petit et comprendre ce qui ne va pas avec ce système. Comment sont morts les dieux ? Quels ont été les impacts sur cette population et comment elle réagit ? Bulikov est-elle réellement soumise à Saypur ? Quelles sont ses attentes pour le futur ? Comment découvrir la. Vérité dans un monde régi par la censure et le mensonge d’État car oui, Saypur a totalement réécri cette histoire. On ne sait pas ce qui s’est réellement passé ! Quel secret cet historien a-t-il bien pu déteniir pour que cela lui coûte la vie ?
Attention, Spoiler possible : des personanges forts
Et pour nous délivrer tout cela, Robert Jackson Bennett nous donne des personnages bien fouillés. Attention, ce que je vous raconterai ici peut vous spoiler un peu.
Shara Thivani est notre protagoniste principale. On sait que c’est une espionne, mais aussi qu’elle se fait passer pour une diplomate. Sa tante fait partie du gouvernement Saypurien, ce qu’elle cache. Et surtout, c’est une descendante du Kaj, le fameux héros qui a tué les divinités. C’est une femme discrète, observatrice, intellectuelle mais assez têtue. Elle aime chercher la vérité. C’est une femme de convictions, assez dure mais constamment tiraillée entre sa loyauté, la raison d’État aussi et la vérité historique. Elle incarne un peu cette ambiguïté post-coloniale : elle veut comprendre, parfois même réparer, mais sans enlever l’hégémonie de Saypur.
En face d’elle, notre auteur nous colle Vohannes Votrov, un homme influent qui a étudié à Saypur, là où il a rencontré Shara et où il a eu une liaison avec elle. Il veut que son pays retrouve sa gloire d’antan et qu’il puisse de nouveau briller, mais Saypur le brime économiquement : ils ont des quotas de production, des taxes supplémentaires, par exemple. Quand il parle de sa culture, on le qualifie d’exotique et il a subi de la xénophobie tout au long de sa vie.
Pour seconder Shara, on a Sigrud. C’est un garde du corps qu’on pense être simple et violent. Et pourtant, il était un prince dans son pays et il a perdu toute sa famille à la guerre. C’est un exilé qui ne trouve pas sa place.
Et sur place, on a la magnifique Turyin Mulaghesh, une ancienne militaire qui a été catapultée à Bulikov. Elle n’a pas envie d’être là et la population n’a pas non plus envie qu’elle soit là. Et pourtant, elle fera sou maximum pour protéger les gens .
En vrai, c’est de la Fantasy Politique
C’est bon, vous pouvez rouvrir les yeux. Avec tous ces éléments, on a, pour un premier tome, un univers de fantasy extrêmement construit, une enquête policière assez fournie, des personnages profonds et cela donne un très bon roman de fantasy politique. Car c’est de cela qu’on va traiter au final, de politique, d’événements majeurs, de situations explosives. Et cela rend ce roman très actuel, au fond car on va parler de censure, de réécriture de l’Histoire et de mémoire. Je pensais que le fait qu’on parle beaucoup de religion allait appesantir ce roman, mais pas du tout. Ce n’est qu’un prétexte. Et au final, quand on regarde autour de nous, c’est une thématique encore bien présente dans notre quotidien. Cela présage une suite tout aussi ambitieuse. Et l’auteur s’est vraiment bien renouvelé d’une trilogie à l’autre. Ah j’oubliais ! Vous risquez de beaucoup rire en lisant la Cité des marches.
Que lire si on a aimé la Cité des marches ? Très bonne question .
- Pour l’univers fouillé et des personnages incroyables, je vous recommanderai la saga de la Première Loi de Joe Abercrombie.
- Pour le rapport colonisateur /colonisé, je sors mon joker : Un pays de fantômes de Margaret Killjoy .
- Et pour vous donner un peu de fantasy politique dans votre vie, lisez la saga de la Tour de garde écrite par Claire Duvivier et Guillaume Chamanadjan.
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