
Titre : Chroniques des années noires
Auteur : Kim Stanley Robinson
Maison d’édition : Pocket
Traducteurices : David Camus, Dominique Haas
Genre : Science- Fiction
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Je discutais livre avec une copine et elle me dit qu’elle compte lire les Chroniques des Années noires de Kim Stanley Robinson en me disant que c’était une uchronie. Pour celleux qui me connaissent, vous savez déjà que j’étais emballée. Mais elle est allée plus loin en me disant : Imagine que la Peste Noire a totalement éradiqué ou presque les Européens. Qu’est-ce qui va se passer ? À ce moment-là, j’étais en train de chercher la référence comme une petite folle et tout faire pour me procurer ce livre afin de le lire très rapidement, tout en me disant que : Hey ! L’auteur me dit quelque chose !
Tu m’étonnes que Kim Stanley Robinson, cela me dit quelque chose ! Il est né le 23 mars 1952 à Waukeban, en Illinois, et c’est un auteur incontournable de Science-Fiction. Mais si, vous en avez entendu un peu parler, j’en suis sûre. La trilogie Martienne par exemple : Mars la rouge, Mars la verte et Mars la bleue dans les années 90. Plus récemment, il a écrit Aurora en 2015 où il réfléchit sur les limites du voyage interstellaire, mais aussi New York 2140 qui est une anticipation climatique sur une métropole et le Ministère du Futur en 2020 qui parle toujours de la crise climatique. Ce qu’il aime, Kim Stanley Robinson, c’est parler de politique, de sciences qui élèvent les gens, il aime réfléchir aussi sur notre rapport à l’Histoire, comme on le voit dans ce livre, et il aime parler et réfléchir sur l’écologie. Un homme bien quoi. Lisez du Kim Stanley Robinson.
Et les Chroniques des Années noires, c’est exactement comme m’a dit ma copine : on a 700 pages de réflexions et de spéculations qui repensent le monde entier sans le monde Occident Chrétien. Et spoiler alert, le monde s’en sort ! Et surtout, il nous fait cela du XIVe siècle à nos jours. Pour pouvoir suivre une civilisation dans le temps, on va suivre des âmes pendant leur processus de réincarnation. Et chaque chapitre se focalise sur une époque différente de cette histoire alternative. Et ce concept est incroyable parce que c’est un concept que j’aime bien, autant l’avouer. Mais je vais surtout vous l’expliquer.
Une approche narrative différente.
J’ai déjà suivi des sagas qui se déroulent pendant des millénaires ou des années. Pour cela, on a le choix entre plusieurs hypothèses. On peut suivre une famille mais il faut avouer que cela tue un peu le suspense car la dynastie ne peut pas s’éteindre. Mais c’est un peu ce que les personnes font quand ils gèrent ce genre de sagas parce que les lecteurices aiment plutôt bien suivre des personnes.
On a le cas Fondation d’Isaac Asimov qui lui va changer de personnages dans chacun de ses tomes. Mais on sait qu’il y a des changements d’époque, notamment parce qu’il y a une petite introduction qui nous parle de la planète et de l’époque en question. C’est d’ailleurs une difficulté pour les calleux qui veulent l’adapter. Car quand on regarde la série Fondation (disponible sur Apple TV si jamais), on voit que les scénaristes ont utilisé trois personnages permanents : Hari Seldon, le scientifique principal et fondateur de la Fondation, est devenu une sorte d’intelligence artificielle issue de la copie de sa mémoire puisque c’est ce qu’il est dans le livre, mais surtout, cela permet d’avoir une sorte de guide. Mais dans la série, on a transformé deux personnages principaux en des sortes de personnages immortels : la disciple de Hari Selton qui voyage souvent et qui entre en stase, mais aussi l’Empereur qui devient un clone de lui même à chaque fois.
Et puis on a Kim Stanley Robinson qui dit que, puisqu’on est dans un monde où le catholicisme a disparu, cela nous laisse le champ libre pour les réincarnations. Ainsi, on a quatre archétypes de personnages que l’on va s’amuser à retrouver dans tous les chapitres et même qu’il nous donne des indices puisque son prénom commence toujours par la même lettre. On a K qui est souvent le sceptique de la bande, le chercheur, celui qui questionne. B, lui est plus impulsif. C’est un peu l’âme guerrière qui va se mêler de politique. Il est la voix la plus douce : c’est le conciliateur qui va tenter à chaque fois de tempérer et d’harmoniser nos personnages. S, c’est l’élément perturbateur, le chaotique du groupe, celui qui va enclencher des révolutions.
Chacun de ses personnages a une vie propre. Personne ne se reconnaît au début. Mais par la force des choses, ils se retrouvent. On ne sait jamais s’ils sont des hommes ou des femmes. On ne connaît jamais leur importance non plus dans l’Histoire, car on couvre vraiment toutes les strates sociales. Mais à chaque fois, ils vont faire ce petit truc qui fait qu’on voit le mouvement historique en cours. Chaque vie va contribuer à un récit global.
On n’est donc pas du tout sur un roman à intrigues. On n’est pas sur un roman avec des héros et des héroïnes. On est sur une fresque historique et philosophique. On lit de l’histoire alternative romancée. Ce qui fait que si on n’a juste envie de suivre la trame, c’est OK et vous passerez un bon moment. Quant aux amateurices d’Histoire, vous vous amuserez évidemment à faire des tonnes de théories, de comparaisons et de recontextualisations. Pour celleux qui se posent la question, je me suis, bien entendu, éclatée avec la chronologie.
Les thèmes abordés dans ce livre sont universels
Il y a un exercice que j’aime beaucoup faire en lisant quand je peux des autrices de différents continents, c’est de ne plus m’occidentalo-centrer. Et c’est un exercice assez difficile parce que nous sommes dans une culture européenne et je dirais même plus catholique. C’est un monde qui nous a façonnés. Alors voir un auteur américain blanc qui fait l’effort de changer totalement le curseur sans forcément prendre parti (si, bien sûr, un peu quand même car personne n’est neutre entièrement). Alors voir que sans les Européens et sans la religion catholique, et bien le monde roule quand même, les amis. Eh bien cela nous remet un peu à notre place. Cela montre qu’il n’y a pas de civilisation « supérieure » ou de mode de pensée plus évolué. Chacun fait à son rythme et c’est en fait le progrès technologique et la manière dont on l’appréhende qui nous fait évoluer. C’est l’Humain, tout simplement.
Et puis j’aime bien le fait qu’il y ait ce système de réincarnation. Cela montre que nous ne sommes pas si importants, si essentiels en tant qu’individualité. On a tendance à oublier que l’être humain est un animal social et qu’il ne peut évoluer que grâce à un mouvement de groupe. Il peut régresser aussi. Et bien entendu qu’un individu peut influer sur un groupe entier. On le voit bien dans notre monde actuel. Mais le groupe peut tout aussi bien décider d’ignorer une influence négative et continuer à évoluer dans le « bon sens ». Mais parfois, c’est le contexte, qu’il soit social, politique, culturel voire même écologique, qui fait que le monde évolue dans tel ou tel sens.
C’est pour cela que le savoir, les sciences sont importants. Parce que pour comprendre le monde, il faut chercher, confronter les points de vue et surtout rester curieux des autres influences. Il n’y a pas de meilleur courant de pensée. Il faut juste vérifier et expérimenter pour savoir si cela fonctionne ou pas. Et les meilleures idées ne prendront peut-être pas parce que le contexte politique, économique et social ne le permet pas. Dans tous les cas, le progrès moral est possible. Et surtout, il ne faut jamais renoncer aux utopies car ce sont elles qui font avancer le monde, le progrès.
C’est de tout cela que traite ce livre en explorant les découvertes, les progrès technologiques mais aussi les guerres. Au travers de ces diverses réincarnations, on s’interroge aussi sur la mémoire collective, l’oubli parfois mais aussi la reconstruction après divers traumatismes.
Les Chroniques des années noires, un livre parfait ?
Ce livre avait été très bien reçu par les critiques, je vous rassure. Car le contenu est incroyable. L’auteur a fait un travail de dingue. Il a été d’ailleurs finaliste du Prix Arthur C. Clarke en 2003 et les universitaires l’apprécient beaucoup. Les amateurs de Science-Fiction dite cérébrale aussi, d’ailleurs. Et j’en fais partie, donc autant vous dire que j’ai apprécié toutes les pages.
Mais on ne va pas se leurrer entièrement. Ce n’est pas un livre parfait pour tout le monde. Et même pour moi. Déjà, le fait qu’il n’y ait pas de personnages hyper fouillés car ce sont des archétypes de personnalité. Leur histoire, leur chemin de vie n’est pas si importante en fait. Et je sais que beaucoup n’apprécieront pas ce type de récits car la norme est bien d’avoir un héros ou une héroïne assez classique.
Il y a aussi quelques longueurs. On sent parfois que l’auteur s’interroge, tâtonne un peu sur certaines idées et sur certaines périodes historiques. J’avoue que parfois, je me demandais où l’auteur voulait aller. Un peu comme dans un Stephen King où vous vous dites que l’auteur ne sait pas vraiment écrire une fin et s’arrêter au bon moment. Pour ma part, c’est totalement OK car je laisse mûrir le récit dans mon esprit et il continue son chemin. Tout simplement.
Pour moi, c’est un livre à interrogations. Un livre fait de curiosités car on se pose de bonnes questions en lisant Chroniques des Années noires. On se remet en cause soi-même et on remet en cause la période dans laquelle on vit. C’est un roman pour prendre du recul, tout simplement.
Alors, que lire après Chroniques des Années noires de Kim Stanley Robinson ?
Excellente question !
- La première uchronie qui me vient et qui a extrêmement bien fonctionné, que ce soit en livre ou en série, c’est Le Maître du Haut Château de Philip K. Dick. On imagine un monde où l’Allemagne nazie a gagné la guerre et on voit ce qui se passe au niveau géopolitique
- J’adore l’espace et même si Chronique des Années noires n’en parle pas du tout, on va en ajouter un petit peu avec Voyage de Stephen Baxter. Pour moi, c’est sûrement l’uchronie qui a en partie inspiré la Série For All Mankind que je vous conseille. Et en gros, c’est de se demander : et si les Américains avaient continué la conquête spatiale pour aller sur Mars ? Qu’est-ce que cela implique pour le progrès technologique, mais aussi les forces politiques en cours.
- Et parce que je ne peux pas vous laisser sans une uchronie écrite par une femme incroyable, je vous redirigerai sur Le Cercle de Farthing de Joe Walton. On reste sur l’Angleterre avec un meurtre en 1949. Le Royaume Uni avait signé une paix avec le Troisième Reich et tout dans ce meurtre désigne un membre de la communité juive. Et on voit les conséquences de tout cela au travers de l’enquête. Ce roman est le premier de la trilogie de Subtil changement.
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