
Titre : Une vie de Saint
Auteur : Christophe Siébert
Maison d’édition : Au Diable Vauvert
Genre : Horreur
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On a les potes qu’on mérite, comme je le dis souvent. J’avais lu par erreur un livre que je pensais être de la Fantasy et qui, en réalité, racontait l’histoire d’une légion allemande dont les membres avaient déserté et qui ont été réintégrés de force dans l’Allemagne nazie. Je vous avouerai que c’était dur de présenter le livre et, en riant, cette connaissance me tend Une vie de Saint de Christophe Siébert, publié Au Diable Vauvert, en me disant ce slogan magique : « Dans ce livre, il n’y a pas de nazis ». Alors oui, effectivement, puisque Une Vie de Saint retrace la vie de Nikolaï le Svatoj dans un pays imaginaire appelé Mertvecgorod et que ce NiKolaî, c’est une réécriture de la vie de Raspoutine. Une vie de Saint n’est pas un one shot mais fait partie d’un cycle. Cela dit, vous pouvez totalement le lire de manière indépendante. Par contre, vous devez être prévenus, le style d’écriture est violent et cru. Hasard de mon calendrier de lecture, j’ai entamé joyeusement une gastro en commençant le livre. Je vous laisse m’imaginer recroquevillée dans le canapé, découvrant le style de Christophe Siégert en courant comme une dératée vers les toilettes assez régulièrement. Et quand on m’a demandé comment était le livre, tout ce que j’ai pu répondre c’est : « Avec du Vogalen, cela passe très bien ». Et ce n’est pas une dépréciation du style de l’auteur ou de l’intrigue, car rien n’est gratuit dans ce monde fictif. Et vous allez voir pourquoi.
Parce que mon histoire de Vogalen, elle n’est pas si déconnante que cela. Souvent, quand on termine un livre, qu’on le referme, on sait d’emblée plusieurs choses : si on aime l’histoire, le style, si on a passé un bon moment. Eh bien, quand j’ai fermé Une vie de Saint, je n’avais pas de réponse. Et cela ne m’arrive pas si souvent, donc cela m’interpelle. Parce que je ne me suis pas ennuyée, je l’ai lu d’une traite. Alors, oui, il a fallu que je m’accroche parce que l’écriture est acide, on a un regroupement de « témoignages », de documents. En fait, on est à la croisée de plusieurs genres ici : un épisode de 24 heures chrono, un reportage Arte sur un gourou et une biographie. Et tout cela dans un monde franchement pessimiste, violent et cru. C’est cela une vie de Saint avec un ping-pong qui fait allusion assez souvent à d’autres romans du cycle (mais introduit de manière à ce que l’on ne soit pas perdu) et tout cela dans un univers très riche et très bien pensé.
Des personnages qui nous échappent
On suit la vie de Nikolaï le Svatoj, à travers différents témoignages et différents documents. Et je vous ai dit tout à l’heure que c’était une réécriture de Raspoutine, et je trouve que c’est le mot juste. Parce que lorsqu’on se penche sur la vie de Grigori Raspoutine, né en janvier 1869 et mort assassiné le 17 septembre 1916 à Petrograd, on ne peut s’empêcher d’y voir des passerelles, des points communs. En effet, Raspoutine était un mystique et un guérisseur russe. Il avait une telle aura qu’il pouvait séduire qui il voulait. Sa réputation grandissant, il fut propulsé à la cour tsariste où la famille le considère comme une espèce de prophète. Ce qui n’est pas du goût de ses ennemis qui le considèrent, lui, comme un charlatan. Il est très difficile de relater en détail de la vie de Raspoutine car c’est un personnage plein d’ombres, de légendes. Et je pense que l’auteur s’est dit : OK ! On va prendre le concept de ce personnage et on va le transposer dans notre époque. Qu’est ce que cela peut donner ? Et bien, cela donne Une vie de Saint : un guérisseur qui devient proche du pouvoir, puis qui devient rockstar, gourou et enfin terroriste et nous on enquête pour démêler le vrai du faux dans la vie de Nikolaï le Svatoj. A-t-il eu réellement des pouvoirs ? On sait pas. Est ce que c’était un roi de la manipulation ? Sûrement ! Croyait il en ce qu’il disait ? Et bien dans une certaine mesure, je le pense vraiment.
Je pense qu’il croyait vraiment au fait que suite à un coma, il a été sauvé par « La Belle Dame ». Mais est-ce qu’il pensait que ses pouvoirs venaient vraiment de cette figure ? Je pense qu’il a fini par le croire à force de le raconter, en fait. Je pense que son style de vie a favorisé grandement certaines hallucinations. Mais que, en même temps, il y a cette fameuse roche noire du début du roman qui est vraiment malfaisante : un petit ajout de fantastique de la part de l’auteur juste pour nous brouiller les pistes. Je pense aussi que les adeptes du Culte Noir pensaient vraiment qu’ils avaient des pouvoirs. Mais est-ce parce que la fameuse roche était radioactive ou parce qu’elle est vraiment surnaturelle ? J’en sais rien. Mais ce que je sais, c’est qu’on a un groupe qui est manipulé par une personne, Maria, qui a été l’élève de Nikolaï et qui avait soif de pouvoir.
Je pense que les personnes qui tournent autour de Nikolaï sont pour la plupart des marginaux, des malades, des désespérés et que, lui, avait tout compris. En les guérissant ou en les persuadant de les avoir guéris, il s’est propulsé en haut de la société au final. Parce qu’il avait la voix du peuple alors que Maria, elle, avait choisi de manipuler la haute société. Je pense que ces deux personnes étaient tellement anonymes au début que les journalistes n’arriveront jamais à retracer leurs parcours car l’histoire et la légende se mêlent. C’est du bouche à oreille en fait.
Et ça est souligné par les thèmes du livre qui montrent une société décadente
On est dans la ville de Mertvecgorod, une espèce de ville cauchemar. Elle est censée être située entre la Russie et l’Ukraine, née de l’effondrement de l’URSS. Cela donne un État complètement gangrené par la corruption, l’illégalité et surtout c’est une ville ultra polluée. C’est clairement un état des lieux de certaines villes soviétiques après le démantèlement de l’URSS. On a enlevé ce régime mais les anciennes personnes sont toujours là, s’accrochant au pouvoir. Et les habitants n’ont pas beaucoup d’espoir parce que leur taux d’acceptabilité est bien haut, entraîné par des années d’injustice. Et puis, cette ville a un système très oppressif. Tout le monde peut dénoncer tout le monde ici sans problème. C’est dans ce contexte de dictature déguisée, dont les membres sont orientés par les membres du Culte noir, que vient Nikolaï qui lui s’occupe des gens, tout simplement.
Et c’est en cela qu’il est dangereux. Non seulement pour les personnes au pouvoir, et bien Nikolaï représente une menace car la population les suit. Mais c’est aussi une menace quelque part pour les marginaux, car il va les emmener un peu n’importe où. Parce que dans cette ville, on n’a plus à faire avec des marginaux et des exclus. Et on voit bien tous les mécanismes qui font que personne ne va pouvoir s’en sortir. Tout est fait pour que tout le monde reste à sa place. Même les choses qui pourraient donner de l’espoir, comme la religion, ici avec l’image de la Belle dame, sont dans cette histoire complètement salies, perverties.
Enfin, la violence, le gore, le sexe, la corruption sont absolument partout. Il n’y a rien de beau, réellement, dans ce monde. Les politiques sont corrompus, cela, vous l’avez bien compris. Mais les hommes d’Église le sont aussi. Et enfin, même les « miracles » sont détournés. La vraie question que pose l’auteur, selon moi, c’est celle-ci : peut-on vraiment être saint dans un monde si pourri ? Et si l’on considère que oui, et bien, est-ce bien l’image de Nikolaï qui est celle d’un saint ? Voilà qui est intéressant
Et tout ceci est mis en valeur par le style de Christophe Siébert
Les idées sont là, mais pour que ce roman dépasse un peu le côté gore, pour que ce roman nous happe, dépasse le fait qu’il soit très dur à lire. Je le rappelle, parfois, je fermais le livre en me demandant tout de même ce que j’étais en train de lire. Et ce n’était pas entièrement une question de gastro. Eh bien, c’est le job de l’auteur, ça. Et en y réfléchissant, je me suis demandée quand j’avais retrouvé cette sensation dans la lecture.
Eh bien, la dernière fois que j’ai vécu cela, je veux dire : le nœud dans le ventre, ce sentiment que je ne pourrai pas continuer ma lecture mais que je poursuis quand même. Eh bien, c’était dans La Terre de Émile Zola. Ce que fait Christophe Siébert, c’est cela : du naturalisme mais poussé à l’extrême. L’auteur va analyser toute la société et la décrire sans fard. Et pour pousser le curseur encore plus loin, il prend une ville dans un monde un peu alternatif qui est Mertvecgorod. On y voit une vision ultra lucide de la misère sociale, dans le sens où la pauvreté n’est pas un problème individuel mais c’est nourri par le système. Par contre, il existe toujours un certain système d’entraide dans les communautés marginales. Par contre, et bien accrochez-vous parce que tout est sans filtre. Si vous êtes rebutés par des scènes de sexe, de violence, de gore, de drogue régulièrement dans vos pages, trouvez des résumés. Tout simplement.
Mervetgorod, c’est la représentation de systèmes politiques et économiques complètement gangrénés par le capitalisme et ouvrez les yeux, c’est ce vers quoi on tend. On a une grosse montée de la corruption, des personnes puissantes qui peuvent se permettre tout et n’importe quoi, des forces de l’ordre qui sont plus une menace qu’un moyen de protection pour le peuple. Une justice à deux vitesses, un système social inégalitaire. L’identité nationale est un outil de contrôle idéologique parce qu’en vrai, les politiques n’ont aucun attachement à leur pays.
L’auteur a une vision assez lucide sur la nature humaine en fait et c’est ce miroir qu’il nous tend. C’est tout sauf agréable à regarder, on ne va pas se cacher. Et en utilisant un peu ce système de reportage que l’on voit dans ce roman, ce début un peu à la 24 heures chronos, et bien cela nous ancre cette histoire dans le réel en fait.
Et est-ce que cela marche ?
Bien sûr. On a là un bon exemple que le roman punk, cela fonctionne. On a cet effet waouw. Je l’ai lu il y a déjà quelques mois et je ne vais pas vous mentir. Le plus dur, ce n’est pas de le lire, ce n’est pas de l’aimer. C’est d’en parler avec justesse. Il faut soutenir ce genre de littérature parce qu’on y allie à la fois les idées et le style d’écriture. C’est un peu le genre de recommandations qu’on se donne sous le manteau. Qu’on donne avec tous les trigger warning possibles en disant mais : « tu verras. Ce livre va te changer ». Christophe Siébert s’amuse à nous distribuer ses idées comme des coups de poing et nous, on encaisse, tout simplement.
Alors, que lire après ?
- La Terre d’Émile Zola. Oui, je sais, proposer un classique alors qu’on a affaire à un livre si moderne. Eh bien oui, moi aussi j’ose. Mais j’ai eu vraiment cet aspect avant/après.
- Utopies réalistes de Rutger Bregman. Et oui, vous pourrez dire que j’ai pété un plomb, mais si vous voulez comprendre les mécanismes de la pauvreté institutionnelle, et bien ce livre va vous le donner.
- Enfin, Moloch de Thierry Jonquet pour la plongée dans les côtés les plus noirs de l’âme humaine. Si jamais il vous restait un peu d’espoir en l’humanité ;)
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