Couverture du livre Par une nuit claire de Kim Yi-Sak

Titre : Par une nuit claire

Auteur : Kim Yi-Sak

Maison d’édition : Editions Matin calme

Traducteurices : Lee Hyonhee et Isabelle Ribadeau Dumas

Genre : Historique

Où trouver le livre ? Clique ici

Vous savez ce que je dis toujours ? On a les copaines qu’on mérite ! Et un jour, une certaine Lexine me dit : j’ai une liste de livres à lire sur la Corée. On en fait quelque chose ? Bien entendu que j’ai tout lu sur sa liste et dans celle-ci, il y avait ce roman : Par une nuit claire de Kim Yi-Sak, paru aux éditions Matin calme en France. Et je dois vous avouer quelque chose : jamais je n’aurais pris ce roman si on ne me l’avait pas conseillé. Parce que moi et les auteurices coréen.nes, et bien il y a toute une culture, en fait. Autant je peux vous trouver très vite des auteurices occidentaux mais j’avoue, je n’ai pas encore le réflexe de chercher ailleurs. C’est pour cela, comme je le dis souvent, qu’il faut lire en dehors de ses petites habitudes, chercher de nouvelles maisons d’édition à chouchouter et surtout, ne pas hésiter à se lancer.

Contexte du livre


Par une nuit claire, de quoi cela parle ? Eh bien on suit A-Ran, la fille naturelle d’un dignitaire du préfet de Séoul. Et A-Ran, elle est à la fois sage-femme et légiste. On l’appelle pour enquêter sur une suite de meurtres étranges. Par une nuit claire, c’est un polar historique. Il se situe pendant le règne de Taejong qui est entre 1400 et 1418 en Corée. Taejong, selon mes sources de Wikipedia, il a fait des trucs. En gros, on est dans une grosse phase de renforcement de la centralisation administrative : on affaiblit les clans aristocratiques et on concentre le pouvoir sur une bureaucratie confucéenne. C’est le moment où les fonctionnaires sont nommés par une décision royale, mais surtout, par un concours administratif. C’est une ouverture, mais pas si grande. Et surtout, on surveille beaucoup plus les provinces via des magistrats locaux nommés par la cour. C’est un gros climat d’intrigues et quelque part, c’est un peu ce que l’on retrouve un peu comme en France quelque part. C’est vraiment une vague de centralisation.

Vu qu’on va parler de médecine légale, comme vous avez vu dans le résumé, parlons de la matière. La médecine officielle est basée sur la médecine traditionnelle chinoise. Il existe bien des légistes qui sont des médecins attachés aux tribunaux et qui sont formés au bureau de médecine (Uilak). Concernant les autopsies humaines, parce qu’on en parle pas mal, et bien elles ne sont pas très fréquentes. Et c’est une pratique très réglementée. C’est d’ailleurs souvent en cas de crimes graves, sur ordre officiel. Il y a des méthodes décrites dans des manuels venus de Chine. Et si d’ailleurs vous avez des sources à ce sujet, n’hésitez pas à m’en parler en commentaires. Et concernant les femmes, officiellement, elles ne pouvaient pas exercer ces postes. Donc ce n’est pas étonnant que A-Ran soit une sage-femme, mais que par quelques voies détournées, que l’on voit dans le roman, et bien elle occupe des fonctions de légiste.

Parce que le statut des femmes n’est pas ouf à l’époque. La Corée était déjà une société strictement hiérarchisée et patriarcale : les femmes appartiennent d’abord à la maison de leur père, puis celle de leur mari. Leur mobilité est aussi fortement limitée. Et enfin, autre thème du roman, il y a des enfants illégitimes qui ont un statut social inférieur et ils ont un accès limité aux fonctions publiques.

Enfin, le système judiciaire reposait sur : des interrogatoires, des rapports écrits et surtout il y a une grosse importance de la hiérarchie : des enquêteurs locaux sont sous la houlette des magistrats. Si un crime grave implique la noblesse, et bien ces affaires sont directement traitées par les organes centraux.

Et l’autrice dans tout ça ?


Et oui ! Parce que je ne la connais pas, mais vous non plus, je pense, car c’est son premier roman publié en France. Kim Yi-Sak fait partie du collectif Greenbooks qui est une agence de littérature sud coréenne spécialisée dans la science-fiction, la fantasy, les dystopies et les récits historiques. Avant d’écrire, elle a étudié le chinois et le journalisme, ce qui explique la rigueur dans son univers et le foisonnement de détails dans son roman. Ce qu’elle aime écrire, apparemment, c’est sur l’Histoire et le féminisme. Et d’après ce que je vois, elle aime réécrire l’Histoire d’un point de vue féminin. Et cela, c’est intéressant car on va voir aussi si elle traite cela différemment des réécritures historiques féministes en Occident.

On sait aussi qu’elle a publié une nouvelle : « Nangjiron » (낭인전 Le Vagabond) qui raconte Byeon Gang-soe, l’un des douze cycles de pansori. Celui-ci offre une vision humoristique de la vie souvent douloureuse des gens du commun. Dans la version de Kim, les loups-garous sont incorporés dans une réinvention SF des pansori traditionnels. Kim a fait ses débuts littéraires en remportant la première édition du concours de fantaisie urbaine de Golden Bough pour sa nouvelle, « Raosanghaiui siginjadeul » (라오상하이의 식인자들 Les cannibales du vieux Shanghai). Situé dans le Shanghai animé de 1934, le protagoniste de « Raosanghaiui siginjadeul » est un jiangshi qui s’attaque au qi des hommes occidentaux tout en se faisant passer pour un « garçon moderne » urbain. L’histoire qui en résulte est un vol de fantaisie mettant en scène un tueur en série Jiangshi sur fond de Shanghai des années 1930. Par une nuit claire est son premier roman complet.

Par une nuit claire est un polar historique, certes, mais ce roman traite de thèmes féministes

On suit un médecin légiste, A-Ran, qui est en réalité une sage-femme. C’est la fille naturelle d’un préfet et elle enquête de manière discrète sur la mort d’une femme dont on n’a pas réclamé l’autopsie. Déjà, est-ce possible qu’A-Ran ait pu être légiste ? Alors non, car la plupart des métiers de la médecine sont réservés aux hommes. Maiiiiissss… Et bien oui, on peut avoir un petit chemin de traverse, comme beaucoup de femmes. Les métiers médicaux qui sont réservés aux femmes, c’est bien entendu tout ce qui traite du corps féminin : donc les sage-femmes. Et il est tout à fait possible qu’avec une éducation adéquate, elle ait la possibilité de lire et d’avoir accès à des traités de dissection, par exemple, puisqu’on sait que ces manuels existent. Par conséquent, avec les bons appuis (comme étant la fille d’un dignitaire), elle peut être embauchée dans un service qui pratique aussi des autopsies.

On parle aussi beaucoup dans ce roman d’enfants légitimes et d’enfants illégitimes et de leur statut. Cela montre une société très hiérarchisée et surtout très accès sur une espèce d’élite. On n’a évidemment pas de trace d’enfants illégitimes puisqu’ils n’avaient pas accès aux hauts postes dans l’administration. Cela ne veut pas dire qu’ils aient pu faire une carrière plus petite et donc moins retranscrite dans les livres historiques. C’est le biais que va prendre l’autrice pour nous montrer ce point de vue. On voit donc une histoire de l’élite coréenne, avec un scandale puisqu’il y a une enquête policière pour un crime grave, mais l’autrice va nous montrer tout le boulot qu’il y a avant le résultat.

On va parler aussi de la pression exercée pour ces jeunes femmes qui restent encore à marier. On y voit la domination que peuvent exercer les mères, que ce soit pour les enfants naturels et les officiels. On y voit les différents mariages possibles, mais aussi et enfin le poids de la réputation. Cela n’était pas une période simple quand on vivait en famille à l’époque, et la marge de manœuvre pour les générations futures était extrêmement mince. Et quand on compare à des romans plus contemporains (comme Bienvenue à la librairie Hyunam de Hwang Boreum, par exemple), et bien ce sont des thèmes toujours actuels.

Et puis, parler de personnes dont on ne parle pas dans l’Histoire écrite, et bien c’est aussi un devoir de mémoire. Alors ce n’est pas facile parce que je pense que l’autrice a dû jouer avec les écrits, faire des recherches assez poussées et surtout garder sa rigueur qu’elle a eue dans ses études journalistiques et les appliquer à son roman. Pour que cela soit crédible. Pour qu’on puisse aisément se projeter aussi.

Et tout cela, c’est possible grâce à l’écriture de Kim Yi-Sak

Il faut que vous compreniez que ce polar historique est très simple à lire. On est dans une écriture assez immersive avec le point de vue de deux personnages principaux : d’un côté A-Ran qui est notre héroïne et Yoon-O, le fils caché du roi qui évolue dans l’administration. On a ainsi de mêmes difficultés puisque les deux n’ont pas de reconnaissance officielle, mais on a une mise en valeur des difficultés que peut avoir A-Ran du fait qu’elle soit une femme.

Par ci par là, l’autrice va nous mettre tous les ingrédients historiques, mais sans non plus placarder les informations comme je vous l’ai fait plus tôt. On est dans l’immersion totale et de manière assez légère. Et c’est en faisant deux ou trois petites recherches de mon côté, et bien cela fait complètement sens.
C’est un style direct, qui n’en fait pas trop et qui décrit autant les objets, les situations et les sentiments des personnages. Elle y mélange la science avec le folklore aussi. On en ressort avec un récit très lisible, mais aussi poétique à sa manière. Et croyez-moi, avec quelques libertés scénaristiques, on a une assez bonne vision de la réalité historique de la Corée.

Et Par une nuit claire, cela donne quoi ?

Cela donne un polar prenant. L’autrice ne nous donne pas de grosses ficelles. J’ai été assez surprise par la fin. Il y a un peu de romance mais pas lourde. Dans ce contexte, elle passe en arrière-plan mais sert vraiment l’intrigue. Et surtout, et bien, on voyage littéralement dans la Corée du XVeme siècle. On en apprend plus sur l’administration, sur l’univers assez codifié qui y est présent, on sent très vite qu’il y a beaucoup d’intrigues politiques et surtout, on en apprend sur les métiers de l’époque et sur le contexte social et politique.

Et en fait, quand on regarde bien, Par une Nuit claire peut totalement avoir sa place dans toutes les réécritures féminines de l’histoire occidentale. Vous aurez en plus l’avantage que l’autrice ne prend pas comme beaucoup de nos contemporaines des mythes assez connus. Ici, on découvre. C’est frais et en prime, on se cultive. Et ça, j’aime bien !

Que lire après Une nuit claire ?

Posted in , , , ,

Une réponse à « Par une nuit claire »

  1. Avatar de mielou35
    mielou35

    Je ne serais sans doute jamais allée de moi même sur ce livre mais tu m’as vraiment donné envie de le lire ! Ça a l’air à la fois prenant et intéressant ! (Et ça change des polars suédois XD)

    J’aime

Répondre à mielou35 Annuler la réponse.