Le livre de M de Peng Sheperd

Titre : : Le livre de M

Auteur : Peng Sheperd

Maison d’édition : Le livre de poche

Genre : Science-Fiction

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Je vous le disais Mercredi en podcast avec la citation du livre de la Guilde des queues de chats morts de P. Djeli Clark,  » On compose parfois étrangement avec la mémoire d’un traumatisme ». Et Eveen, notre héroïne, est amnésique. Elle ne se souvient de rien avant sa perte de mémoire et son double ne comprend pas tout de suite ce qu’elle ressent. Elle cherche à se retrouver dedans. Je me posais la question, pendant ma lecture, qu’est-ce que cela fait de perdre la mémoire ? Est-on vraiment attaché à nos souvenirs.? Et à quel point notre nous profond se situe dans la mémoire ? Qu’est-ce qui est prêt à sacrifier pour la garder, l’effacer ou la récupérer ? C’est dans le livre de M. de Peng Sheperd, publié chez le Livre de Poche depuis 2022, et c’est traduit par Sylvie Homassel.

Le Livre de M, ça raconte quoi ? Un jour, en Inde, un homme perd son ombre et les scientifiques n’arrivent pas à l’expliquer. Quelques jours plus tard, il perd progressivement la mémoire. Cet homme s’appelle Hemu. Et le phénomène s’étend jusqu’à devenir mondial. Max et Ory sont montés et se réfugient dans un hôtel abandonné. Ils retrouvent un semblant de vie normale, sauf que Max perd son ombre.

Perdre son ombre, voilà qui est effrayant. Alors que Bon… Vous vérifiez, vous, que vous avez encore votre ombre tous les matins ? L’ombre a une symbolique forte ! Elle est le prolongement de notre corps, alors notre imaginaire l’associe à l’âme. Si on prend le mythe de la caverne de Platon, l’ombre symbolise l’illusion. Dans le taoïsme, l’ombre est synonyme de sagesse. C’est aussi le symbole de notre individualité car on ne peut pas donner notre ombre. C’est un peu le symbole de notre inconscient. Donc, si on pend son ombre, on perd la mémoire. Qu’est-ce qu’il reste de nous quand le souvenir s’éteint ?

La mémoire comme identité

Vous l’avez deviné, dans le livre de M, on va parler de la mémoire de manière très individuelle, car on va se demander quelle part de nous il y a dans notre mémoire. La perte de mémoire dans ce livre est très particulière car oui, quand les gens perdent leur mémoire, ils deviennent dangereux, pour eux comme pour les autres. Si vous oubliez de vous nourrir, par exemple, ou de boire. Si vous oubliez comment ouvrir une porte. Si vous oubliez comment conduire alors que vous êtes au volant. Si vous oubliez que la personne en face de nous est celle que vous aimez, alors qu’elle se penche pour nous enlacer. Celles et ceux qui ont vécu l’expérience d’un membre de votre famille atteint de démence sénile ou d’Alzheimer, vous voyez tout de suite à quelle sensation je fais écho. Sans la mémoire, on a l’impression que la personne nous file entre les doigts.

Pour savoir, je me suis tournée vers un philosophe : John Locke (1632 -1704). Cela m’est venu, pour être totalement transparente, par lecture de la biographie de Denis Diderot où j’ai appris qu’il avait traduit du John Locke. C’est une pointure de la philosophie britannique du XVIIe siècle et figurez-vous qu’il a marqué la pensée moderne avec sa théorie de la connaissance et de la mémoire comme fondement de l’identité personnelle. Et cela nous arrange ici. Chez Locke, une personne, c’est un être pensant qui se reconnaît comme unique à travers la variation de temps et de feux. Selon lui, il n’y a pas de perceptions inconscientes donc vous virez tout ce que vous savez, son Freud par exemple. Dans ce cadre, la mémoire, c’est la capacité de faire passer les perceptions passées aux perceptions présentes. Donc la mémoire fonde notre identité personnelle. Ainsi, le corps n’a pas d’importance. Si Locke vivait à notre époque, il considérerait par exemple que si l’on transfère notre mémoire dans une machine, nous devenons la machine et elle est nous. Qu’est -ce qui se passe alors si on oublie totalement ou une portion de notre vie ? C’est là que cela devient intéressant il dit que non, si l’on oublie une portion de sa vie, alors ou n’est pas la personne qui a fait ces actions ou qui a eu ces pensées. Donc là, il refait la distinction entre une personne et un individu : ce n’est pas la même personne car on n’a pas conscience d’avoir réalisé ces actes ou d’avoir eu ces pensées. Par contre, on est bien l’individu qui les a réalisées. De quoi vous donner des nœuds au cerveau. Mais cela montre bien la peur d’Orry quand il se rend compte que Max, sa femme, perd son ombre, il pense qu’il va la perdre. Et Max part pour qu’Orry ne la voie pas devenir quelqu’un d’autre. Il n’y a donc aucun espoir ?

Demandons à Ricoeur, un autre philosophe du XXème siècle. Ricœur, il dit que ce ne sont pas nos actions qui font que nous avons une identité personnelle, mais c’est la manière de nous raconter. Selon lui, il y a un récit de notre personne qui intègre notre être et les événements qu’il vit ou se remémore. Selon Ricoeur, donc, Orry reste important car tant qu’il peut raconter Max, sa personnalité reste. D’ailleurs, il a cette idée de demander à Max de s’enregistrer pour qu’elle puisse se raconter à elle-même. Et Leibniz, un autre philosophe du XVIIème siècle, est d’accord avec cette idée parce qu’il dit que les autres peuvent t’aider à reconstituer ton identité. Ainsi, si Max décide de quitter Orry, elle renonce ici à une part d’elle-même, elle changera. Comme lorsqu’on décide de changer d’environnements d’ailleurs. D’un autre côté, on peut être influencé par des événements extérieurs, ce que l’on voit dans l’effet Mandela par exemple. Cela désigne les souvenirs partagés collectivement mais de manière enjouée. Et cela vient du fait que la croyance répandue selon laquelle Nelson Mandela serait mort en prison, Alors qu’il a été président après sa libération. La psychologue contemporaine Elizabeth Loftus a montré que nos souvenirs peuvent être modifiés par de nouvelles informations. Et dans le roman, Peng Shepard, elle le matérialise parce que si une personne oublie qu’une maison a des portes, et bien les portes disparaissent dans les alentours. Ce qu’on voit ainsi dans le livre de M et en piochant chez vos philosophes, c’est que la mémoire, ce n’est pas qu’une mécanique neuronale, c’est un lien entre soi et le monde. Comment la récupérer alors ?

Les objets, des porteurs de mémoire

Dans le livre de M, Max rencontre un groupe de personnes qui tentent de trouver une solution à la Nouvelle-Orléans. Or, c’est un groupe de sans-ombres. Comment ne pas oublier l’objectif ? Déjà, ils se le rappellent constamment, mais ils décident de dessiner sur le bus où ils sont leur objectif. Parce qu’ils vont oublier comment lire, donc oubliez les post-its : Max a un appareil qui enregistre sa voix, mais si elle oublie, comment cela fonctionne ? Quand la mémoire personnelle fait défaut, il faut faire appel à la mémoire collective et dans le livre de M, ils en parlent avec la mémoire des éléphants. Et genre, les éléphants auraient un super pouvoir de la mémoire. Cela m’aurait beaucoup interpellé car je l’avais déjà lu dans Défense d’extinction de Ray Nayler. C’est quoi cette histoire avec la mémoire des éléphants ?

Ce que l’on sait, c’est que des éléphants d’Afrique sont capables de reconnaître des individus humains qu’ils n’ont pas eus depuis 13 ans via l’odorat, la vue ou le son. Ils savent aussi mémoriser des trajets vers des points d’eau sur plus de 50 km, mais aussi quels sont les lieux amis ou ennemis, comme les zones de braconnage. Est-ce une mémoire collective ? En fait, les groupes d’éléphants sont menés par des groupes de matriarches qui enseignent aux plus jeunes. Ils détiennent une mémoire sociale culturelle, même si cela n’a pas été formalisé expressément dans les études scientifiques, mais c’est un apprentissage social très fort. Et on n’a pas non plus de vision globale car les études se concentrent toujours sur des petits groupes. Mais la question reste ouverte. La mémoire des éléphants n’est pas une sorte de conscience partagée, mais cela démontre un processus de mémoire transgénérationnelle, c’est à dire la mémoire culturelle.

Et en fait, on faisait cela depuis bien longtemps. En effet, dans les cultures orales, la connaissance se transmet !
– Par les Anciens, dépositaires de la sagesse du groupe.
– par l’observation, la participation et la répétition
– Et enfin le récit collectif qui sert à la fois de mémoire et de lien social.
Et on dit qu’on perd un peu cela avec l’écriture qui a permis de conserver et de fixer le savoir. D’un autre côté, cela détache la mémoire du corps, de la voix, du collectif. En fait, le livre de M pose la question : si on ne peut plus se baser sur l’écrit entièrement pour forger notre mémoire, comment fait-on dans une société profondément individualiste? Et il y a tellement de choses à retenir que, comment peut-on faire pour retenir des choses sans passer par l’écrit ? Sans passer par des supports comme internet, par exemple ? Comment se retrouver alors ?

Disparaître par oubli, renaître par réminiscence.

Dans le livre de M, on pense que la perte de mémoire conduit à la disparition, soit la mort symbolique de l’identité. Toutefois, Max démontre, par son voyage, qu’elle continue à se construire et même à se reconstruire avec des bribes de son identité et en faisant de nouvelles expériences, de ressentir de nouvelles émotions en créant de nouveaux liens.

En effet, si on souffre d’amnésie, cela veut dire qu’on meurt ? Locke vous dirait que oui, mais Ricoeur nous dit que non : l’identité n’est pas figée. Elle se raconte à nouveau. Ainsi, et on le voit avec un de nos personnages, l’amnésie est une renaissance. C’est un recalibrage mais est-ce un reboot complet ? Les neurosciences se sont penchées dessus, figurez-vous. Ils montrent que l’amnésie n’efface pas toutes les formes de mémoire. Alors oui, la mémoire épisodique est atteinte. Ce sont les souvenirs personnels. Mais la mémoire procédurale, comme le savoir-faire, les gestes, perdurent. Vous savez Qu’il y a un exemple célèbre ? C’est Clive Wearing, un chef d’orchestre britannique est atteint d’amnésie totale. Il ne se souvient de rien au-delà de 30 secondes, mais il sait jouer du piano et reconnaît affectivement sa femme. Alors oui, il ne sait pas comment elle s’appelle, mais il sent qu’il l’aime. La personnalité ne se définit pas par la mémoire déclarative, donc non, si je transfère ma mémoire dans une machine, la machine ne devient pas moi. Une personne amnésique ne devient pas une autre personne au sens métaphysique, mais une autre version d’elle-même, toutefois sans les repères qui structurent son histoire. L’oubli n’est pas une fin, c’est la possibilité d’un autre commencement.

La mémoire du monde.

Ce que le livre de M parle en fait, ce n’est pas la fin d’une personne mais la fin d’une civilisation. Car perdre de mémoire devient contagieux. Et cela, on l’a connu tout au long de l’Histoire et en fait, on reste nostalgique des anciennes civilisations, personne n’avancera. La vraie question, c’est surtout qu’est-ce qu’on va en faire ? Dans le Livre de M, on parle d’un monde sans repères et l’autrice se demande comment on peut faire pour s’en construire de nouveaux pour survivre en fait. Sans mémoire, on se rend compte qu’il n’y a plus de futur car on perd ses racines. Il faut trouver un moyen d’utiliser ce qui nous reste pour rester stable et avancer. Il ne faut pas oublier les leçons du passé et si on détruit les sources, il en restera quand même une part en nous. Intéressant, Non ?

Aussi, que lire après Le livre de M ? 

  • Pour explorer la dynamique de mémoire en tant que repère par le biais de la mémoire des éléphants, je vous conseille Défense d’extinction de Ray Nayler
  • Mais, quand la mémoire devient trop lourde pour une personne, est-il possible de la partager pour aller mieux ? C’est ce que tente de répondre Rivers Solomon via Abysse.
  • Et pour parler d’ombres, vous connaissez Peter Pan ? de James Matthiew Barry.

Qu'est-ce qu'on lit le Lundi ? S01EP15 J'ai un livre pour toi

Tous les lundi, je vous emmène dans mon trajet de train virtuel pour aller au travail. On en profitera pour parler des lectures de la semaine. Qu'est-ce qu'on lit le Lundi Pour écouter l'épisode : https://www.vodio.fr/vodiotheque/i/28631/qu-est-ce-qu-on-lit-le-lundi-s01-ep07/ Au trajet cette semaine : – Les flibustiers de la mer Chimique de Marguerite Imbert : https://www.gallimard.fr/catalogue/les-flibustiers-de-la-mer-chimique/9782073052247- Medieval Girlfriends de Juliette cousin : https://www.exemplaire-editions.fr/kopi/librairie/livre/medieval-girlfriends- Silent Jenny de Mathieu Bablet : https://www.editions-ruedesevres.fr/Silent-Jenny- L'île au trésor de R.L. Stevenson : https://www.flammarion-jeunesse.fr/lile-au-tresor/9782080490735Mes futures lectures : – Capitaines courageux de Rudyard Kipling : https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070363544-capitaines-courageux-rudyard-kipling/- La course au mouton sauvage de Haruki Murakami : https://www.librairie-des-femmes.fr/livre/9782264076533-la-course-au-mouton-sauvage-haruki-murakami-patrick-de-vos/?provenance=wishlist_list- Quand Cécile de Philippe Marczewski : https://www.seuil.com/ouvrage/quand-cecile-philippe-marczewski/9782021538083 Au programme cette semaine :- Sur le Podcast et sur le blog : Medieval Girlfriends de Juliette cousinSi vous souhaitez nous partager votre lecture, voici le répondeur : https://www.vodio.fr/repondeur/1802/ ou en déposant votre fichier MP3 sur jaiunlivrepourtoi@gmail.comLe logo est une création de Shirayukisan et vous pouvez lui faire ses commandes ici : https://shirayukisancommissions.carrd.coLa musique du générique : Late night Snack de The fly guy five https://youtu.be/UIqkiK-So6g?si=mAs64Wo47LcjEBEt
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2 réponses à « Le livre de M »

  1. Avatar de mielou35
    mielou35

    Le thème de la mémoire est hyper interessant ! Et ça questionne d’autant plus quand on a dans son entourage des vieilles personnes qui ont des problèmes de mémoire 😅

    Aimé par 1 personne

    1. Avatar de Koré

      Oui. C’est aussi dans ce sens là que je voulais le développer. Le livre de M a remué beaucoup de choses.

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