• Livre Compendium de Magie

    Titre : Compendium de Magie

    Auteur : David Catuhe

    Maison d’édition : Auto édition

    Genre : Science-Fiction – Fantasy

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    Vous avez fait vos fiches de personnages ? Parce que moi, personnellement, j’étais prête ! Mais comment répartir vos points ? Compendium de magie ne répondra pas à cette question mais vous saurez au moins comment fonctionne ce monde particulier d’Illuminaria ? Et bien figurez vous que je n’étais pas la seule à me poser cette question puisque l’auteur, David Catuhe, s’est posé la même question. C’est sympa d’avoir des personnages mais il faut les faire évoluer. Pour cela, bienvenue dans le Compendium de magie, le deuxième tome des Légendes d’Illuminaria. Et oui, on reste bien dans un manuel bien développé en jeu plutôt que dans un roman classique. 

    Est-ce qu’on va être sur un catalogue avec les personnages principaux ou les cartes du monde ? Non. Ici, on va vous faire voyager directement en vous montrant le fonctionnement. Avec ce volume, vous comprendrez enfin comment s’articule la magie, comment ce monde fonctionne, comment il utilise la magie dans sa vie de tous les jours. 

    Et nous, on se projette, bien évidemment. Là où le premier tome s’appuyait uniquement sur les images pour nous immerger, Compendium de magie commence à nous laisser de la place au texte. Il est encore assez scolaire dans le sens où l’on présente des caractéristiques mais c’est pour mieux me guider.

    A mon sens, c’est ce qui démontre le plus le fait que l’auteur apprend aussi à monter son univers avec nous. Malheureusement, on commence à  déterminer à ce moment précis de sa saga si c’est un auteur Architecte ou un auteur jardinier. Mais de quoi je vous parle ? Allez, je vous raconte ! 

    Un auteur architecte, c’est typiquement un JRR Tolkien ou un Brandon Sanderson pour vous donner les plus connus. Quand ce type d’auteur invente un monde, il vous débarque avec des fiches personnages et des cartes à foison. Et oui ! C’est bien ce que l’on voit présentement dans cette saga. Et c’est cela qui est intéressant dans le monde d’Illuminaria puisqu’on voit tout au long de ces livres le processus d’écriture d’un auteur. Ah oui ! Un auteur jardinier est celui qui part d’une idée et qu’il ajoute des trucs au fur et à mesure, comme cela lui vient et tant mieux si cela colle. Un des plus fameux auteurs jardinier est Stephen King. Mais vous pouvez aussi retrouver ce principe chez Michel Robert et sa saga de l’Agent des Ombres par exemple. 

    Et pour nous en tant que lecteurices, c’est quoi l’impact ? On peut être un peu impatients ! En effet, on a très vite l’habitude de consommer les histoires de nos jours. Mais si vous prenez le partie de vous prendre une soirée pour lire l’un puis continuer par le deuxième tome une autre semaine, et bien croyez moi, cela se passe extrêmement bien. Personnellement ces deux premiers tomes ont été lus dans le jardin, au calme et dans un état pas contemplatif, ne vous m’imaginez pas en pleine méditation mais en profitant, tout simplement. En fait, Compendium de magie vous permet de prendre le temps, de vous noyer dans un univers qui a un je ne sais quoi de futuriste, d’ailleurs. C’est un mélange de genres car il me semble bien que David Catuhe parle de magies qui ressemblent un peu à de la Science-fiction pour nous. On n’aura plus qu’à vérifier avec le troisième tome de la saga.

    Que lire après Compendium de magie ?

    Et qui ne soit pas du Simarillon parce que deux fois dans le mois, cela va commencer à être beaucoup. Laissez moi vous présenter des formes de récits différents !

    • Foodistan de Ketty Steward. C’est une entrée dans un univers où après une apocalypse, on définit les personnes selon leur régime alimentaire. On raconte l’histoire de Maelle qui cherche un sens à sa vie en élaborant un livre de cuisine. C’est surtout l’excuse pour nous de découvrir un monde au travers son fonctionnement plus que par l’histoire de son héroïne
    • Subtil béton de les Aggloméré.s qui est aussi un récit très atypiques puisque l’on reconstitue une histoire au travers de témoignages de différentes personnes.
    • Le monde de Julia de Jean Baret et Ugo Bellagamba qui raconte un monde au travers de deux points de vue et qui se questionne sur la notion de Justice. 

    Qu'est-ce qu'on lit le Lundi ? S01EP15 J'ai un livre pour toi

    Tous les lundi, je vous emmène dans mon trajet de train virtuel pour aller au travail. On en profitera pour parler des lectures de la semaine. Qu'est-ce qu'on lit le Lundi Pour écouter l'épisode : https://www.vodio.fr/vodiotheque/i/28631/qu-est-ce-qu-on-lit-le-lundi-s01-ep07/ Au trajet cette semaine : – Les flibustiers de la mer Chimique de Marguerite Imbert : https://www.gallimard.fr/catalogue/les-flibustiers-de-la-mer-chimique/9782073052247- Medieval Girlfriends de Juliette cousin : https://www.exemplaire-editions.fr/kopi/librairie/livre/medieval-girlfriends- Silent Jenny de Mathieu Bablet : https://www.editions-ruedesevres.fr/Silent-Jenny- L'île au trésor de R.L. Stevenson : https://www.flammarion-jeunesse.fr/lile-au-tresor/9782080490735Mes futures lectures : – Capitaines courageux de Rudyard Kipling : https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070363544-capitaines-courageux-rudyard-kipling/- La course au mouton sauvage de Haruki Murakami : https://www.librairie-des-femmes.fr/livre/9782264076533-la-course-au-mouton-sauvage-haruki-murakami-patrick-de-vos/?provenance=wishlist_list- Quand Cécile de Philippe Marczewski : https://www.seuil.com/ouvrage/quand-cecile-philippe-marczewski/9782021538083 Au programme cette semaine :- Sur le Podcast et sur le blog : Medieval Girlfriends de Juliette cousinSi vous souhaitez nous partager votre lecture, voici le répondeur : https://www.vodio.fr/repondeur/1802/ ou en déposant votre fichier MP3 sur jaiunlivrepourtoi@gmail.comLe logo est une création de Shirayukisan et vous pouvez lui faire ses commandes ici : https://shirayukisancommissions.carrd.coLa musique du générique : Late night Snack de The fly guy five https://youtu.be/UIqkiK-So6g?si=mAs64Wo47LcjEBEt
    1. Qu'est-ce qu'on lit le Lundi ? S01EP15
    2. Racines
    3. Qu'est-ce qu'on lit le lundi ? S01EP14
    4. Les enfants de l'Empire
    5. Qu'est ce qu'on lit le lundi ? S01 EP13
  • Couverture de Légion Zodiaque

    Titre : Légion Zodiaque

    Auteur : David Catuhe

    Maison d’édition : Auto édition

    Genre : Science-Fiction – Fantasy

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    Quand on commence une saga, on a l’habitude de vouloir s’attacher à un univers, à un héros, à un début d’histoire initiatique. David Catuhe, il vous sort des fiches de personnages. Comme si vous aviez trouvé un vieux manuscrit dans une bibliothèque. Après, à vous de reconstituer le puzzle. Alors faites comme si, deux secondes avec moi, vous aviez trouvé des fiches de descriptions de personnes dont vous n’aviez aucune idée de leur existence. Et si vous y arrivez, détachez vous des images deux secondes pour apprendre à connaître La Légion Zodiaque, premier tome du cycle d’Illuminaria

    Autant vous dire que je me suis bien marrée en découvrant le premier tome parce que je suis comme vous formatée aux sagas fantasy classique. Et pourtant, il ne vous ment pas. Dès le début, il vous donne le corpus de ce livre : On est dans le monde d’Illuminaria, il y a des dieux qui ont toujours été là. Pas des dieux terrifiants mais bien des dieux bienveillants qui n’hésiteront pas à prendre les armes pour vous, tout simplement. Mais aussi pour le monde qui vous abrite. Et c’est pour cela que les gens de ce monde sont croyants. Comme si ces dieux le méritaient. Mais, moi je veux bien croire en un panthéon avec des temples très jolis. Mais je veux savoir en qui je crois. 

    Et bien figurez vous que si personne n’a vu ces dieux, les gens d’Iluminaria ont vu leurs émissaires : La légion Zodiaque. Et chaque chevalier va représenter un signe du Zodiaque et va intéragir avec la population. Et l’auteur va ainsi nous présenter chaque chevalier, avec sa constellation, ses actions, ses qualités, parfois même ses petits défauts car, hey, personne n’est parfait ! 

    On est clairement dans un codex, une compilation de fiches de personnages et je dois vous avouer que j’ai eu deux difficultés : d’abord, lire les textes car les images sont extrêmement mises en avant. On sent que l’auteur, son tout premier plaisir, c’est de dessiner. Et moi, je ne suis pas une spécialiste du graphisme, celleux qui me connaissent savent que mon point culminant en dessin est un lapin moche que même mes enfants ont trouvé très laid dès leur 6 ans. Ce qui m’a fasciné là dedans, c’est la précision des graphismes. Ils sont vibrants. Et c’est ainsi qu’on découle sur mon autre difficulté : j’étais carrément chaude pour me faire une fiche de personnage pour jouer dans cet univers. Où sont les points de compétence ? 

    Je vous vois rire sous cape, en train de m’imaginer chercher mes dés de jeu. Mais quelque part, c’est aussi cela l’intérêt de ce livre. On ne vous propose pas une belle histoire pour commencer. On vous propose tout un univers. Et après votre lecture, vous travaillez votre imagination, tout simplement. Pourquoi ces chevaliers sont apparus ? L’auteur a-t-il lui aussi passé ses matinées devant le Club Dorothée en boulottant les Chevaliers du Zodiaque ? Est ce qu’on va devoir sauver une déesse ? Et oui, tout est possible ! 

    Alors non, c’est tout sauf une copie du célèbre manga de Saint Seya, à peine on s’inspire de l’esthétisme mais j’ai adoré me souvenir de cet univers en fait. Et on a la présentation pas d’une histoire mais d’un monde entier. Vous savez ce que cela me rappelle ? Oui, je vais encore vous balancer une reco dans la reco : C’est Je suis une fille sans histoire de Alice Zeniter où, quand j’ai lu ce livre, je me suis dit : mais oui ! On voit toujours les mêmes choses débarquer dans nos lectures : Un héros ou une héroïne qui part nous faire découvrir un monde tout mignon et qui va suivre sa petite quête initiatique. Alors oui, j’aime bien ce genre de romans mais j’aime aussi être bousculée dans mes récits.

    Alors, que vous dire de plus ? Parce que, concernant les illustrations, il faut que vos yeux le voient. Et concernant votre chevalier ou votre chevalière préférée, c’est très personnel. Vous allez devoir étudier tout cela.

    Et que dit la critique française ? Et bien que dalle à part quelques appréciations sur les sites de revente comme Amazon et Cultura. Pourquoi on ne s’intéresse pas plus à ce type d’oeuvre ? Est ce trop atypique ? 

    Effectivement, on peut le reconnaître : on a une structure narrative inhabituelle, plus proche d’un codex ou d’un bestiaire (l’image d’un Pokedex de chevaliers me vient en tête, je retrouve un peu mes esprits et je reviens). Mais c’est un peu cela car chaque chevalier va arriver sous vos yeux ébahis avec une armure particulière et des caractéristiques. C’est aussi un choix visuel assumé. C’est l’image qui remplace la description ici. Pas besoin de passer passer des heures à vous demander à quoi les chevaliers ressemblent puis être déçus par une adaptation en séries qu’on imagine mondiale. Et je peux dire ce que je veux, c’est moi qui ait le micro. En fait, je trouve cette approche plutôt intimiste. C’est David Catuhe qui vous propose une vision de cet univers. On est à la frontière de plusieurs univers et il n’est pas le seul à avoir fait ce tour de passe passe. Venez avec moi, je vais vous le montrer.

    Ce bon vieux JRR Tolkien nous avait déjà fait le coup avec le Silmarillon. Et oui ! Le Simarillon n’est pas un roman en tant que tel mais bien un ensemble de chroniques, souvent vécues comme un catalogue de peuples ou de personnages mythologiques avant même qu’on ne découvre une intrigue linéaire. L’avantage ici, c’est que l’auteur a une tablette graphique et monsieur Tolkien… Et bien non ?

    Vous pensez que je tape dans un auteur trop ancien ? Et bien allons voir Brandon Sanderson et sa saga Coeur d’acier ? Si mes souvenirs sont bons, pour les anglophones, il a bien publié un carnet que notre héros principal avait compilé avant même le début de ses aventures. Et on en parle tout le temps de ce carnet. Et puis, La Légion Zodiaque nous rappelle pas mal l’univers comics ou même manga. Et pardonnez moi si je m’excuse, mais on a très régulièrement des fiches persos avec caractéristiques dans cet univers. 

    Et enfin, je vous rappelle l’univers propre des origines de l’auteur : Magic, World of Warcraft. Et pour celleux qui sont tombés dans la spirale de Wow, vous avez sûrement passé une bonne heure à choisir votre perso. Moi, j’en ai passé du temps à choisir ma race et ma classe. Et je ne vous parle même pas de mes choix capillaires. 

    Il n’est donc pas étonnant, finalement, ce choix de David Catuhe. Il a commencé par ce qu’il maîtrise, tout simplement. Et quitte à faire de l’autoédition, autant se faire plaisir ! Alors prenez-vous au jeu. 

    Que lire après La Légion Zodiaque ? 

    • On peut totalement se faire une petite relecture de Saint Seya de Masami Kurumada pour rester dans l’ambiance. Personnellement, mon cadet m’a piqué mes tomes mais je ne désespère pas d’avoir à nous accès à sa bibliothèque
    • Ah bah oui, le Silmarillon de JRR Tolkien , mais vous n’aurez pas les images qui vont avec, je vous préviens.
    • Cœur d’acier de Brandon Sanderson parce qu’on est bien sur une réflexion sur des gens aux grands pouvoirs. Même si ici, tout se passe un petit peu mieux j’ai l’impression ! 

    Qu'est-ce qu'on lit le Lundi ? S01EP15 J'ai un livre pour toi

    Tous les lundi, je vous emmène dans mon trajet de train virtuel pour aller au travail. On en profitera pour parler des lectures de la semaine. Qu'est-ce qu'on lit le Lundi Pour écouter l'épisode : https://www.vodio.fr/vodiotheque/i/28631/qu-est-ce-qu-on-lit-le-lundi-s01-ep07/ Au trajet cette semaine : – Les flibustiers de la mer Chimique de Marguerite Imbert : https://www.gallimard.fr/catalogue/les-flibustiers-de-la-mer-chimique/9782073052247- Medieval Girlfriends de Juliette cousin : https://www.exemplaire-editions.fr/kopi/librairie/livre/medieval-girlfriends- Silent Jenny de Mathieu Bablet : https://www.editions-ruedesevres.fr/Silent-Jenny- L'île au trésor de R.L. Stevenson : https://www.flammarion-jeunesse.fr/lile-au-tresor/9782080490735Mes futures lectures : – Capitaines courageux de Rudyard Kipling : https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070363544-capitaines-courageux-rudyard-kipling/- La course au mouton sauvage de Haruki Murakami : https://www.librairie-des-femmes.fr/livre/9782264076533-la-course-au-mouton-sauvage-haruki-murakami-patrick-de-vos/?provenance=wishlist_list- Quand Cécile de Philippe Marczewski : https://www.seuil.com/ouvrage/quand-cecile-philippe-marczewski/9782021538083 Au programme cette semaine :- Sur le Podcast et sur le blog : Medieval Girlfriends de Juliette cousinSi vous souhaitez nous partager votre lecture, voici le répondeur : https://www.vodio.fr/repondeur/1802/ ou en déposant votre fichier MP3 sur jaiunlivrepourtoi@gmail.comLe logo est une création de Shirayukisan et vous pouvez lui faire ses commandes ici : https://shirayukisancommissions.carrd.coLa musique du générique : Late night Snack de The fly guy five https://youtu.be/UIqkiK-So6g?si=mAs64Wo47LcjEBEt
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    2. Racines
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    4. Les enfants de l'Empire
    5. Qu'est ce qu'on lit le lundi ? S01 EP13
  • Couverture du livre Hard Mary de Sofia Samatar

    Titre : Hard Mary

    Auteur :Sofia Samatar

    Maison d’édition : Argyll

    Genre : Science-Fiction

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    J’avais très envie de le lire, ce livre, quand j’ai reçu le mail de nouveautés des éditions Argyll. Je pense que leur collection Récifs m’a portée toute l’année. Ce titre, c’est Hard Mary de Sofia Samatar, qui est la dernière novella de cette autrice que je ne connaissais pas du tout. C’était donc la porte d’entrée qui me fallait. Hard Mary, c’est l’histoire de jeunes filles qui font le tour d’une étable pour, selon les histoires, trouver le nom de l’homme qu’elles vont épouser. Et c’est sur une androïde de Profane Industries sur qui elles tombent. Elles l’adoptent et l’humanisent.

    Au travers de cette histoire de communauté religieuse, Sofia Samatar met en lumière la place de la femme.


    Nos héroïnes sont des jeunes filles qui vivent dans une communauté religieuse fermée qui est inspirée par la communauté des Amish ou des Mormons. J’avoue ne pas beaucoup connaître les subtilités entre ces communautés, mais ce que l’on peut en retenir, c’est que leur vie est entièrement réglée par la foi, la tradition et elles sont soumises à l’autorité patriarcale. Cela leur donne surtout très peu de place pour leurs réalisations personnelles. Elles ne vivent que par leur rôle de futures mariées et de futures mères. Elles n’ont pas de place pour exprimer leur curiosité, leurs avis, leur personnalité, non plus. De même, elles n’ont aucune notion de ce qui se passe en dehors de leur communauté. Ce village sert, pour l’autrice, à nous installer un huis clos qui met en lumière un système oppressif pour des femmes qui n’ont aucune voix propre.

    Et nos jeunes femmes ne s’en rendent absolument pas compte car elles vivent dans ce système. Sauf qu’on a un élément déclencheur : une androïde qui est là, on ne sait pas pourquoi. Elles auraient pu la remettre aux autorités du village, mais elles décident d’avoir un projet personnel : réparer cette androïde, de la nommer : Hard Mary et, plutôt que de la rejeter, de l’intégrer. Hard Mary, elle est différente. Elle n’est pas tout à fait humaine, pas tout à fait machine. Des filles pourraient la rejeter, avoir peur d’elles. Mais elles décident de faire preuve de sororité. Et en décidant de prouver aux hommes du village que c’est une personne, elles se posent des questions sur leurs propres conditions. La toute première est : Qu’est-ce que vivre ? Est-ce tenir son rôle dans une communauté ou est-ce se réaliser ? Ensuite, qu’est-ce qu’une femme idéale ? Est-ce sa capacité de travail, sa capacité à se reproduire ? Quelle est la valeur d’une femme dans cette communauté et surtout comment les hommes voient les femmes dans cette communauté ? Et ainsi, dernière question qu’elles se posent : Faut-il accepter ce que l’on nous dit comme argent comptant ou faut-il remettre en question ce que l’on nous impose ?

    Ensuite, en regardant évoluer Hard Mary, elles découvrent que cette androïde est un miroir sur leur condition. Mary est une femme, mais pas tout à fait. Elle a été construite par des hommes et programmée pour obéir. Et c’est exactement dans ce cadre-là qu’elles évoluent : elles sont élevées pour obéir et se soumettre d’abord à leur père, et ensuite à leur mari. Et pourtant, ce n’est pas une question de foi, de religion. Et même si elles veulent l’accueillir dans leur communauté, elles choisissent d’abord de la déprogrammer et en fait, on parle de leur déprogrammation à elles. Elles voient qu’il y a autre chose que leur communauté et qu’elles peuvent réaliser quelque chose pour elles-mêmes

    Parce que Hard Mary, elle a tout pour se faire rejeter par la communauté. En effet, Jericho repose sur l’artisanat et l’agriculture. Il n’y a pas de télévision et très peu de contacts avec l’extérieur. On se demande même comment nos héroïnes parviennent à réparer Hard Mary car ce genre d’outils est prohibé, caché. Hard Mary représente le monde technologique, une espèce d’irruption du futur dans un monde totalement figé dans le passé. Vous aurez donc une grande partie de la communauté qui risque d’être hostile car elle représente le changement. Peut-on préserver l’authenticité d’une communauté sans se fermer au monde ? Ça, c’est une question intéressante et c’est un enjeu quotidien. Combien de fois on n’a pas sorti cette fameuse phrase : « c’était mieux avant »? Comment peut-on survivre dans le monde sans évoluer ?

    Ce livre parle de liberté. Or qui l’est dans Jericho ? Les femmes qui naissent humaines dans une société oppressante ou une machine dont on enlève la programmation et qui a une chance d’échapper aux règles sociales ? Ce texte est fort dans le sens où il joue totalement sur l’ambigüité de ces deux formes d’asservissement : le patriarcat et la programmation. Et elle démontre surtout que les chaînes ne peuvent être brisées que par les femmes.

    Hard Mary est un procès de l’Humanité


    Tout le long du récit, notre narratrice va démontrer, en fonction des écrits religieux, que Hard Mary peut faire partie de l’humanité : C’est une créature pensante. Elle ne consomme que ce dont elle a besoin. Elle est aussi innocente qu’un enfant. Elle rêve. Elle espère, mais pas trop. Elle se languit de la demeure céleste. Si elle se perd, elle peut revenir…

    Ce plaidoyer, c’est un paradoxe car elle ne défend pas que Hard Mary, elle se défend elle-même. Car la défendre, c’est défendre l’idée que les femmes de la communauté sont aussi des personnes à part entière. Je vous disais que cet androïde était un miroir pour ces femmes et c’est exactement cela : si les hommes refusent de la reconnaître comme humaine, ils confirment qu’ils refusent de voir la pleine humanité de leurs propres filles et de leurs propres femmes.

    En faisant cela, elles font une inversion des rapports de pouvoir. D’ordinaire, ce sont les hommes qui décident du vrai, du juste, de la foi. Ici, c’est la narratrice qui se hisse au niveau d’un théologien et elle force les hommes à entrer dans son jeu d’argumentation. Qu’elle gagne ou non n’a pas d’importance, parce que le simple fait que son argumentation existe démontre que la vérité peut émerger d’une voix qu’on n’entend tout simplement pas d’habitude. C’est un changement de l’intérieur.

    Aussi on peut se poser la question : est-ce que Hard Mary est un texte de théologie ou est-ce un texte de science-fiction ? Et pourquoi pas les deux ? Je sais, par exemple, qu’il y a une rumeur très persistante qui dit que l’Église elle-même a débattu de l’existence de l’âme chez la femme. On attribue cette légende au Concile de Mâcon qui a eu lieu en 585, mais cette rumeur s’est apparemment développée entre le XVème et XVIème siècle. Pour cela, je vous conseille un podcast des Nuits de France Culture, Histoire des femmes par Michelle Perrot (épisode 5). Cependant et actuellement, on se pose beaucoup de questions sur la personnalité juridique des machines, des intelligences artificielles par exemple. Ce débat sur l’androïde montre, selon l’autrice, que les débuts théologiques avec les enjeux féministes et contemporains ne sont pas clos.

    Hard Mary, sous couvert d’une histoire de science-fiction avec une androïde dans une communauté religieuse, cela met en lumière une jeune fille qui met en lumière une certaine hypocrisie des religieux qui prônent des principes d’accueil et de charité alors qu’ils ont plutôt tendance à rejeter ce qui est étranger et inconnu.

    Dans Hard Mary, on voit deux types de femmes.


    On a les femmes qui partent. Celles qui choisissent la fuite, l’exil, la libération. Partir, c’est franchir la frontière, c’est refuser le patriarcat de la communauté. Et cela demande un courage de dingue, de tout abandonner, de s’élancer sans filet comme cela pour rester dans ses propres convictions.

    Et puis on a celles qui restent, celles qui demeurent dans l’enfermement de la communauté. Mais ce sont elles qui gardent le souvenir de ce qui s’est passé. Et elles ont initié aussi ce changement pour qu’il soit possible. Elles ne sont pas libres extérieurement, mais elles deviennent le vecteur d’un changement intérieur.

    Hard Mary a été un déclencheur, une étincelle qui va embraser des consciences. Il n’y a pas non plus plus de courage entre celles qui restent ou celles qui partent, mais on a plus tendance à mettre en avant les personnes qui partent dans les romans. Ici, l’autrice nous montre le point de vue de celles qui restent. Elles n’auront plus de lien avec celles qui sont parties, leur lien symbolique reste : certaines agissent par le geste : partir, et les autres par le verbe, par l’argumentation et le témoignage, par leur seule présence, elles deviennent une faille dans cette communauté. Leur position est duale : enfermées mais éveillées. On peut même aller plus loin. Elles deviennent une figure de prophète : elles n’accompagnent pas l’événement, mais elles le déclenchent et le gardent en mémoire. Leur vie est transformée de l’intérieur.

    Hard Mary et Sofia Samatar.


    Sofia Samatar est est née en 1971 dans l’Indiana. Son père, Saïd Sheikh Samatar, est un éminent historien somalien. Sa mère, elle, est une mennonite germano-suisse. C’est en Somalie qu’ils se sont rencontrés. Le mennonisme, c’est un mouvement chrétien anabaptiste. Une partie de ce mouvement rejette, d’ailleurs, le progrès technologique. Elle a vécu dans beaucoup de pays, suite aux déplacements de son père, pour suivre une scolarité dans une école mennonite. Et elle a continué la tradition familiale puisqu’avec son mari, l’écrivain Keith Miller, elle a enseigné l’anglais au Soudan puis en Égypte. Elle enseigne depuis 2020 en Virginie la littérature africaine, la littérature arabe et la fiction spéculative.

    Cette autrice aime écrire sur la parole et la mémoire et on le voit dans sa duologie Un étranger en Olondre qui est l’histoire d’un homme hanté par une jeune femme morte qui exige que son histoire soit racontée : Et dans la suite, the Winged Stories qui n’est pas encore traduit, ce sont quatre femmes qui vont apporter d’autres points de vue de cette histoire. Cela rejoint bien Hard Mary de par sa vie propre et ses écrits antérieurs où on a des narrateurices qui deviennent une mémoire vivante de ce qui s’est passé.

    Dans son essai The White Mosque, elle raconte aussi l’histoire d’une communauté mennonite partie s’installer en Asie centrale, ce qui raconte une belle rupture avec ce qu’ils ont toujours connu. Ça montre bien cette dualité avec ceux qui restent et ceux qui partent, je trouve, ce dilemme entre le voyage et l’enracinement.

    On part souvent dans son univers dans un endroit clos, fermé, qui se fissure par un élément extérieur. Et c’est exactement le thème qu’on retrouve dans Hard Mary. Enfin, l’autrice aime porter notre vue sur des voix marginalisées, celles qu’on oublie ou qu’on écarte, rarement à des héros ou des héroïnes classiques.

    Hard Mary et la critique


    C’est un roman qui a du mal à être noté, j’ai l’impression. Les gens ont l’air d’être déstabilisés par l’atmosphère du récit, en France. Peut-être parce qu’on est moins familiers des communautés religieuses en vase clos ? Je ne sais pas du tout. Et pourtant, il trouve son public grâce à sa fin ouverte, à sa narration un peu particulière et son format court.

    Et cela a l’air similaire dans les revues anglophones. C’est qualifié, selon la revue Lightspeed, d’Above average Story : une histoire au-dessus de la moyenne. C’est souvent beaucoup d’interrogations sur la nature même du récit : est-ce un texte sur le divin ? Ou alors un texte de science-fiction ?

    Pour ma part, c’est un texte qui a mis du temps à faire son chemin. Au début, j’ai beaucoup aimé l’argumentation de la narratrice pour démontrer que Hard Mary peut être intégrée à la communauté. Cela m’a parlé. Et puis, j’ai été très frustrée de ne pas avoir suivi la finalité de l’histoire de Hard Mary. Et puis, je me suis dit que ce n’était pas cela l’important, mais bien cette étincelle qui a provoqué ce changement. Et puis, j’aime beaucoup aussi le format court qui nous oblige un peu aussi à imaginer la suite par nous-mêmes. Ce récit est exactement comme cette histoire ! Un déclencheur. A nous de faire le reste. Vous voyez ?

    Que lire après Hard Mary ?

    • L’évidence serait de vous proposer la Servante écarlate de Margaret Artwood. Pour raconter comment une société peut enfermer les femmes uniquement dans un rôle.
    • Un roman qui m’a énormément marquée quand j’étais adolescente : Une femme qui ne disait rien de Michelle Schuller, qui pour moi fait écho dans ce roman. C’est l’histoire d’une femme qui raconte la vie des hommes autour d’elle alors qu’elle est totalement effacée. C’est l’histoire d’une femme qui reste.
    • Et en parlant de dilemme entre femme qui reste et femme qui part, j’ai envie de vous proposer La couleur pourpre d’Alice Walker.
  • Couverture de l'Enigmaire de Pierre Cendors

    Titre : L’Enigmaire

    Auteur : Pierre Cendors

    Maison d’édition : Quidam Editeur

    Genre : Science-Fiction

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    Je suis allée en librairie car j’avais un problème : je participais à un club de lecture dont le thème était : choisir un livre pour son titre. Donc, sans lire la quatrième de couverture. Pour cela, je vais voir mon libraire et comme il connaît maintenant bien mes goûts, il m’a donné trois livres, je les ai payés et basta. Ces trois livres, c’était Une vie de Saint de Christophe Siégert, mais je ne pouvais pas le choisir parce qu’on lit la première phrase et celleux qui l’ont lu savent. Le deuxième est celui que j’avais choisi pour ce club et je l’ai lu sur le chemin du retour dans le métro : La migration annuelle des nuages de Premee Mohamed. Le troisième que j’ai adoré mais que je n’ai pas choisi car j’avais peur de ne pas pouvoir l’expliquer : l’Enigmaine de Pierre Cendors et publié aux éditions Quidam.

    Et de quoi cela parle ? L’action se situe à Orze, ville bombardée en 1916 et depuis transformée en zone rouge interdite au public. Sauf que des fouilles archéologiques montrent qu’il y a une activité magnétique anormale ainsi que les vestiges d’un ancien culte chtonien. Ceux qui s’y rendent en reviennent changés. D’ailleurs, nous suivrons trois personnes qui y sont allées : Lazlo Ascendio. Adna Szor et Sylvia Pan. Pourquoi s’y rendent- ils ?

    Pour comprendre ce livre, il est indispensable de connaitre l’auteur et ses influences.

    Pierre Cendors est né en France en 1968. Il est écrivain, illustrateur et artiste peintre. Après son service militaire, il part habiter au Conemara, puis il rejoint une communauté spirituelle en Écosse où il rencontre sa femme. Il publie son premier roman en 2006 qui s’appelle l’Homme caché. En 2010, il publie Engeland, en 2015 Archives du vent ; en 2018, la vie posthume d’Edward Markham ; en 2019, Silens Moon et enfin en 2021, l’Enigmaire dont il dit lui-même que c’est un hommage à Andrei Tarkovski

    Mais qui est-ce ? Andrei Tarkovski est un cinéaste soviétique né en 1932 et décédé en 1986. Il est considéré comme l’un des plus grands réalisateurs soviétiques et il a réalisé sept longs métrages qui le placent en tant que maître du septième art : L’enfance d’Ivan en 1962, Andreï Rublev en 1966, Solaris en 1972., Le miroir en 1975, Stalker en 1979, Nostalghia en 1983 et le Sacrifice en 1985. Personnellement, je n’en ai pas encore vu, mais je les ai ajoutés à ma liste de films à regarder en urgence.

    Ce qu’il faut retenir, c’est que les livres de Pierre Cendors sont comme des puzzles. Il prend les codes de la Science Fiction pour transformer ses livres en quêtes oniriques. Il aime désorienter ses lecteurs.

    Et ici, où retrouve la patte de l’auteur au travers des thèmes développés

    Notre intrigue prend place à Orze, une ville bombardée en 1916, et cette ville est en elle-même un personnage de ce roman. C’est un lieu très bizarre qui ne prend pas en compte le temps. Il les superpose. Ainsi, nos personnages peuvent se voir s’ils ont déjà été présents ou voir les autres personnages présents sur ces lieux. Mais peu importe le moment où ils étaient présents. Vous voyez ? Orze devient une bulle en elle-même et nos personnages le sentent dès qu’ils y pénètrent. Ce qu’on veut nous dire par là, c’est que certains lieux gardent en mémoire ce qui s’est passé sur leur sol. Comme un traumatisme mémoriel et c’est quelque chose que l’on ressent un peu lorsqu’on visite un lieu chargé en histoire.

    De plus, quand Pierre Cendors fait de la Science Fiction, il l’associe avec une sorte de sacré. Dans l’Enigmaire, on voit, via les fouilles, qu’il y a des traces d’un culte chtonien, par exemple. Et plus on avance dans le temps, plus le résultat de ces fouilles semble bizarre. La modernité n’arrive pas à percer ce mystère. Qui plus est, le gouvernement a interdit l’accès à ce lieu où non seulement ce lieu attire les gens, mais il les transforme.

    Et tout cet environnement va nous servir de cadre pour des quêtes personnelles. Nos trois personnages : Lazlo, Adna et Sylvia sont là pour combler un vide intime. Lazlo est le premier spationaute, autrement dit le premier enfant né dans l’espace. Il se sent déconnecté des autres car il n’est pas né sur Terre et il développe une attirance pour l’archéologie car il cherche ses racines, en fait. Adna, elle, est veuve et elle cherche l’inspiration – pour composer de la musique. Elle est perdue et cherche un nouvel élan, quelque chose à laquelle se raccrocher. Enfin, Sylvia. C’est une page blanche, elle passe mais on connaît des histoires par Adna. Sylvia, elle cherche qui elle est. Elle cherche son essence.

    Ensuite, je vous disais que l’Enigmaire est un hommage au cinéma de Tarkovski. Alors, certes, j’avoue mon ignorance sur l’œuvre de cet homme, mais de ce que j’ai pu glaner dans mes recherches, cela est dû à une certaine lenteur assez fascinante dans la manière de filmer. Tarkovski aimait beaucoup faire des focus sur l’eau, la nature ou le temps qui file et en lisant cela, je me dis que l’hommage y est évident ! C’est exactement ce que j’ai ressenti à la lecture de ce récit. Alors oui, ce livre m’a donné envie de voir ces films. Et même que j’ajouterai un encart si jamais.

    Enfin, l’Enigmaire est une énigme. C’est un roman où on n’a pas toutes les clés. On tâtonne, on cherche, on revient en arrière. J’ai même envie de vous dire : ce livre doit être encore meilleur à la relecture. On l’apprécie et on pose ses moments préférés la première fois, puis on se pose des questions. On laisse mûrir et on y revient. Laissez de la chance à votre esprit qui fera de nouveaux liens et vous verrez cette histoire sous un nouvel œil.

    Tout ceci est renforcé par un style un peu.. particulier.

    L’Enigmaire n’est pas le genre de livre qu’on prend sur un coup de tête, sauf votre chroniqueuse, bien entendu. Quand j’ai fait mon petit panel après lecture des avis des personnes, j’ai vu qu’il y avait deux écoles. Où les gens ont aimé ou ils ont été déroutés par leur lecture, par le style. Et c’est aussi pour moi la patte de Pierre Cendors.

    C’est différent. Cela peut vous marquer parce qu’on n’a pas vraiment l’habitude d’avoir des écritures différentes dont le style est atypique. C’est un voyage, en somme, dans un univers un peu onirique. Vous voyez un peu ce sentiment quand on arrive à Silent Hill ? Eh bien c’est un peu cela. On n’a pas les codes, mais on apprend.

    Et l’Enigmaire dans tout ça ?

    Pour moi, c’est un très bon livre, on il est un univers à lui tout seul. Pour paraphraser un peu mon libraire, je ne suis pas sûr d’avoir tout compris mais j’ai adoré. Et c’est tout à fait cela. Ce livre m’a appris à lâcher prise, à prendre des pauses dans la lecture. Et me demander : Mais qu’est-ce que je suis en train de lire ?

    Peut-être que vous aimerez cette sensation. Peut-être pas, d’ailleurs. Peut-être que, comme moi, vous le mettrez dans la pile à relire. Ce sera demain, dans un mois, dans un an. Peut-être me reverrais-je dans ce livre ? Allez savoir ?

    Que lire après l’Enigmaire ?

  • Couverture du livre La dernière tentation de Judas de Philippe Battaglie

    Titre : La dernière tentation de Judas

    Auteur : Philippe Battaglia

    Maison d’édition : L’Atalante

    Genre : Thriller

    Où trouver le livre ? Clique ici

    La couverture était là, tentante, en librairie : colorée, fun, et surtout, ce titre un peu bizarre qui : La tentation de Judas. Intriguée, je regarde et on me souffle à l’oreille : « Imagine que les Apôtres sont devenus immortels et ils sont dans notre époque maintenant. Cela donnerait quoi ? » Autant vous dire que j’avais très envie de le lire. De plus, je ne connaissais pas du tout l’auteur : Philippe Battaglia. Et c’est publié chez l’Atalante.
    Et la dernière tentation de Judas, cela raconte quoi ? Judas, Rome, de nos jours est complètement déprimé depuis 2000 ans, depuis qu’il est séparé de Jésus. Sauf qu’un jour, il tombe sur une évangile écrite par Satan qui lui informe que s’il retrouve les 30 deniers de sa trahison, il retrouvera son compagnon. Dans sa quête, il entraine certains des apôtres, se fait poursuivre par d’autres et se fait aider par Marie de Magdala et de Lazare.

    Pour comprendre un peu ce livre, il faut d’abord se pencher sur son créateur : Philippe Battaglia

    Oui, parce qu’on n’écrit pas un roman comme ceci par hasard. Est-ce qu’on va découvrir qu’il avait des posters de Judas partout dans sa chambre et qu’il se balade constamment avec trente deniers dans la poche ? Non, pas du tout, mais quand on regarde ce qu’a fait Philippe Battaglia dans sa vie, on comprend un petit peu mieux. Il est né en 1981 et il a fait plein de métiers. Il y a 10 ans, on m’aurait dit, dans une discussion au boulot : « Mouais tu sais, ce gars, c’est un slasher. Il est cuisinier, slash vendeur, slash vendeur, slash chroniqueur radio, slash programmateur de festival…. « Et sûrement cette personne aurait longtemps soupiré en disant : « C’est un personnage en soi »

    Ce que j’en ai retenu, c’est que j’aurais adoré bosser avec, mais passons. Ce qu’il faut que vous reteniez surtout, c’est que c’est un auteur qui a été nourri de beaucoup d’influences et qui aime jouer avec. Or, l’une des plus grandes influences en Occident, et bien c’est la religion catholique. On ne peut pas y échapper puisque c’est la fondation même de notre calendrier. On pourrait en discuter pendant des heures et je pourrai vous donner des bouquins là-dessus qui montrent que vraiment, ils en ont fait beaucoup en bien et en mal, mais là, on va parler de Philippe Battaglia qui s’est dit : Hey ! On va jouer avec la Bible.

    Et pourquoi pas, en vrai. La Bible, c’est quoi ? Selon le dictionnaire, c’est un recueil de textes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Certain.es vont vous dire que c’est sacré et que donc pas touche. Et d’autres vont sûrement prendre ces textes pour ce que c’est : des récits. Parce que, en vrai, la mythologie grecque, c’est un peu pareil. Et pourtant, personne ne s’est gêné pour prendre ces histoires pour en faire des films et autres. Et même l’Ancien et le Nouveau Testament, en fait. La vraie question c’est : mais quel angle Philippe Battaglia va prendre ? Il va prendre le personnage que tout le monde déteste : Judas. Et qu’est-ce qu’on fait depuis 2000 ans ? Eh bien, on le déteste, tous.tes. Alors, imaginez maintenant qu’on l’a devant les yeux? Vous n’auriez pas envie de savoir pourquoi?

    Quand l’auteur se saisit de la Bible, il la consacre en œuvre de Pop culture. Et cela nous permet de développer des thèmes forts

    Parlons de Judas, notre héros. On a une personne qui a perdu la personne qu’il aimait le plus : Jésus. Et on apprend assez vite qu’il a été manipulé pour faire cette fameuse trahison. Mais il en porte la culpabilité depuis 2000 ans. C’est un apôtre, donc il est capable de faire des miracles et sans fards, sans paillettes, il s’occupe des exclus de Rome. Qu’est-ce que cela dit de Judas ? Ce n’est pas le traître dont on a l’habitude d’entendre parler, mais quelqu’un qui prend soin des autres, alors qu’il n’arrive pas à prendre soin de lui-même. Et en fait, c’est cela qu’il veut que l’on retienne de cette mythologie biblique. Les apôtres étaient des personnes comme tous les autres : des personnes passionnées comme des personnes orgueilleuses, généreuses, drôles. C’était des personnalités comme tout le monde, mais sous la direction bénéfique, certes, mais direction de Jésus. Et si on enlève l’élément fédérateur de ce groupe, et bien ils reviennent vers leur personnalité. Sauf Judas qui garde cette image de Jésus et c’est quand il a cet espoir de le revoir qu’il se sublime à nouveau. Intéressant, non ?

    Et puis, grâce à cette transposition des personnages dans notre époque, on peut revisiter les mythes bibliques puisque les personnages sont là pour le raconter. Et ils n’ont pas eu forcément la belle vie après le départ de Jésus. La plupart ont été torturés et tués de manière atroce. Sauf que si on reprend le raisonnement de l’Esprit Saint, et bien… Ils sont immortels. Donc, ils ne peuvent pas mourir. C’était donc bien un enfer sur Terre. Et Lazare, autre personnage qui a été ressuscité, qui a une grande longévité mais qui n’est pas immortel, et bien, il devient un homme qui a peur de la vie, qui la regarde de loin. Est-ce vraiment dire ?

    Ensuite, La dernière tentation de Judas met surtout en valeur la marginalité. Car Judas, c’est bien cela : un marginal, soit une personne mise de côté. Alors oui, quand on est surnommé traître ultime depuis 2000 ans. Mais avec qui traîne-t-il depuis : avec les personnes sans domicile fixe qui ont construit une communauté à part dans un entrepôt. Et dont personne ne s’occupe. Il est ami avec Marie de Magdala qui est devenue directrice de maisons de passe. Elle s’occupe des prostituées pour les protéger des hommes tout en leur permettant d’exercer leur métier sans jugement. Grâce à ce livre, on les voit comme des héros et des héroïnes du quotidien, dont le seul fait de vivre est compliqué à cause du système.

    Enfin, il n’y a pas plus grande institution que la Bible et la religion catholique. On les rend intouchables malgré toutes les histoires qu’on entend sur eux. Eh bien, Philippe Battaglia, il balance tout cela. On voit que la Bible, c’est un livre. Et que les membres du clergé sont des hommes. Comme tout le monde. Et que les histoires sont des histoires. Pourquoi ne pas s’amuser avec ? Pourquoi ne pas les remettre en question ? Cela se fait très bien puisque regarder ce livre. Et ce n’est pas dénigrant. C’est une certaine réalité. Il faut les désacraliser. Par contre, les humains, il faut les valoriser, peu importe leur position sociale, peu importe leurs choix de vie. Et c’est peut-être cela le message originel de Jésus, non ?

    Et Philippe Battaglia s’en sort très bien grâce à son style

    C’est amusant, je dois dire, de voir les personnes de la Bible parler comme nous, s’habiller comme nous (enfin à peu près parce qu’il y a des looks un peu particuliers à base de… Non mais lisez, vous saurez). Et mélanger ces images mythiques avec un environnement moderne, ce n’est assez pas si facile. Il faut la bonne dose, il faut de bons dialogues et tourner même parfois, des événements historiques et/ou mythiques dans notre quotidien, c’est un vrai sport.

    Et qui plus est, il nous donne par ci par là des références à la pop culture qui m’ont valu des éclats de rire totalement incroyables. Et cela m’a fait penser à une affirmation d’Umberto Eco, figurez-vous. Je vous raconte : imaginez le Pape, le Dalaï Lama qui peuvent consacrer des années à débattre de la question de savoir si Jésus est vraiment le fils de Dieu. Et pourtant, ces deux hommes sont contraints d’admettre en deux secondes que Clark Kent, c’est Superman sans lunettes. Voilà, cela ne sert à rien dans cette chronique, mais moi, cela me fait dire que peut-être, en admettant que la Bible est une œuvre de pop culture, et bien… On aurait peut-être moins de problèmes de religions. Allez savoir !

    Bref, vous l’avez compris. On fait beaucoup de mélanges dans ce livre et cela se voit dans le style d’écriture. Mais cela se voit aussi dans notre humeur pendant la lecture. On peut passer par des moments hilarants, des moments complètement absurdes à de moments juste poignants, forts. C’est tout un panel d’émotions qui vous traversent et je ne sais pas vous, mais c’est un peu ce que je recherche dans les livres.

    Et alors ? Quel est l’impact de ce livre ?

    Eh bien, il a été pas mal reçu en fait. Les magazines et les blogs ainsi que la presse ont salué ce récit. J’ai même eu le loisir et le plaisir d’entendre l’épisode de du podcast Mauvais Genres où l’auteur parle de son livre. Les librairies spécialisées, dont celle que je fréquente (coucou la librairie Les Quatre Chemins), ont tendance à le recommander. C’est d’ailleurs comme cela que j’ai eu ce livre entre les mains. Et oui, je vais vous recommencer mon éternelle litanie, mais pourtant, c’est bien vrai : trouvez-vous une librairie qui vous correspond et si elle existe, vous aurez accès à des recommandations de fifou.

    Allez, on arrête les digressions. Mais quelle place a ce livre dans l’univers de l’auteur ? On va commencer par une novella que j’ai trouvée : le Jour des cons, publié en 2012, dans laquelle un anti-héros qui règle ses comptes avec le monde pendant un road trip. On a aussi ce roman graphique qui s’appelle Personne n’aime Simon, publié en 2019, qui me tente juste par son titre et qui à lui seul raconte pas mal l’intrigue. Bah oui, personne ne l’aime. Pourquoi ? Et si on allait le découvrir un jour ? Enfin, il a aussi écrit Astor Pastel et les vilains gamins qui parle d’une petite fille qui partage ses histoires avec les animaux. Et il y en a d’autres, bien entendu, mais cela vous donne un petit panel de ce que l’auteur fait : il s’intéresse à des personnages souvent rejetés, des anti-héros, des personnes à la marge et on ajoute cela un univers assez fun en fait, des univers que l’on peut appréhender car on les connaît. Donc La tentation de Judas n’est pas un ovni, c’est plutôt un livre qui s’accorde totalement avec son univers personnel. Et cela se voit ! Et moi, cela me ravit !

    Alors ? Qu’est ce que je pense de la Tentation de Judas ?

    J’ai été très enthousiaste par cette lecture. Et comment peut-on le savoir ? Dans ces cas-là, j’ai la tendance de débarquer dans les messageries de mes copaines en proposant un résumé rigolo avec des questionnaires et des réflexions qui n’ont rien à voir (oui, on ne juge pas mon comportement obsessionnel sur mes partages de lecture, vous en bénéficiez aussi en quelque sorte).

    C’est un roman de très grande qualité qui peut correspondre à toustes les lecteurices qui sont curieux, qui aiment passer par toutes les gammes d’émotion. Mais aussi à celleux qui aiment les réécritures de mythes et de l’Histoire, tout simplement. Vraiment, vous allez vous amuser avec ce livre tout en explorant plein de concepts.

    Que lire après La tentation de Judas ?

    • Le silence des vaincues de Pat Barker, si vous souhaitez repartir sur de la réécriture de mythes.
    • On parle dans La tentation de Judas de transidentités à un moment. Et pour ceux qui viendraient faire nianiania, ce n’est pas du tout historique. J’ai envie de vous recommander Les Genres Fluides de Clovis Maillet qui traite de la transidentité dans l’Histoire, et même au temps de la Bible. Et ouais !
    • Enfin, pour le mélange livre historique et univers un peu fantastique, La reine Sirène de Nghi Vo qui est aussi incroyable.

  • Couverture du livre Par une nuit claire de Kim Yi-Sak

    Titre : Par une nuit claire

    Auteur : Kim Yi-Sak

    Maison d’édition : Editions Matin calme

    Traducteurices : Lee Hyonhee et Isabelle Ribadeau Dumas

    Genre : Historique

    Où trouver le livre ? Clique ici

    Vous savez ce que je dis toujours ? On a les copaines qu’on mérite ! Et un jour, une certaine Lexine me dit : j’ai une liste de livres à lire sur la Corée. On en fait quelque chose ? Bien entendu que j’ai tout lu sur sa liste et dans celle-ci, il y avait ce roman : Par une nuit claire de Kim Yi-Sak, paru aux éditions Matin calme en France. Et je dois vous avouer quelque chose : jamais je n’aurais pris ce roman si on ne me l’avait pas conseillé. Parce que moi et les auteurices coréen.nes, et bien il y a toute une culture, en fait. Autant je peux vous trouver très vite des auteurices occidentaux mais j’avoue, je n’ai pas encore le réflexe de chercher ailleurs. C’est pour cela, comme je le dis souvent, qu’il faut lire en dehors de ses petites habitudes, chercher de nouvelles maisons d’édition à chouchouter et surtout, ne pas hésiter à se lancer.

    Contexte du livre


    Par une nuit claire, de quoi cela parle ? Eh bien on suit A-Ran, la fille naturelle d’un dignitaire du préfet de Séoul. Et A-Ran, elle est à la fois sage-femme et légiste. On l’appelle pour enquêter sur une suite de meurtres étranges. Par une nuit claire, c’est un polar historique. Il se situe pendant le règne de Taejong qui est entre 1400 et 1418 en Corée. Taejong, selon mes sources de Wikipedia, il a fait des trucs. En gros, on est dans une grosse phase de renforcement de la centralisation administrative : on affaiblit les clans aristocratiques et on concentre le pouvoir sur une bureaucratie confucéenne. C’est le moment où les fonctionnaires sont nommés par une décision royale, mais surtout, par un concours administratif. C’est une ouverture, mais pas si grande. Et surtout, on surveille beaucoup plus les provinces via des magistrats locaux nommés par la cour. C’est un gros climat d’intrigues et quelque part, c’est un peu ce que l’on retrouve un peu comme en France quelque part. C’est vraiment une vague de centralisation.

    Vu qu’on va parler de médecine légale, comme vous avez vu dans le résumé, parlons de la matière. La médecine officielle est basée sur la médecine traditionnelle chinoise. Il existe bien des légistes qui sont des médecins attachés aux tribunaux et qui sont formés au bureau de médecine (Uilak). Concernant les autopsies humaines, parce qu’on en parle pas mal, et bien elles ne sont pas très fréquentes. Et c’est une pratique très réglementée. C’est d’ailleurs souvent en cas de crimes graves, sur ordre officiel. Il y a des méthodes décrites dans des manuels venus de Chine. Et si d’ailleurs vous avez des sources à ce sujet, n’hésitez pas à m’en parler en commentaires. Et concernant les femmes, officiellement, elles ne pouvaient pas exercer ces postes. Donc ce n’est pas étonnant que A-Ran soit une sage-femme, mais que par quelques voies détournées, que l’on voit dans le roman, et bien elle occupe des fonctions de légiste.

    Parce que le statut des femmes n’est pas ouf à l’époque. La Corée était déjà une société strictement hiérarchisée et patriarcale : les femmes appartiennent d’abord à la maison de leur père, puis celle de leur mari. Leur mobilité est aussi fortement limitée. Et enfin, autre thème du roman, il y a des enfants illégitimes qui ont un statut social inférieur et ils ont un accès limité aux fonctions publiques.

    Enfin, le système judiciaire reposait sur : des interrogatoires, des rapports écrits et surtout il y a une grosse importance de la hiérarchie : des enquêteurs locaux sont sous la houlette des magistrats. Si un crime grave implique la noblesse, et bien ces affaires sont directement traitées par les organes centraux.

    Et l’autrice dans tout ça ?


    Et oui ! Parce que je ne la connais pas, mais vous non plus, je pense, car c’est son premier roman publié en France. Kim Yi-Sak fait partie du collectif Greenbooks qui est une agence de littérature sud coréenne spécialisée dans la science-fiction, la fantasy, les dystopies et les récits historiques. Avant d’écrire, elle a étudié le chinois et le journalisme, ce qui explique la rigueur dans son univers et le foisonnement de détails dans son roman. Ce qu’elle aime écrire, apparemment, c’est sur l’Histoire et le féminisme. Et d’après ce que je vois, elle aime réécrire l’Histoire d’un point de vue féminin. Et cela, c’est intéressant car on va voir aussi si elle traite cela différemment des réécritures historiques féministes en Occident.

    On sait aussi qu’elle a publié une nouvelle : « Nangjiron » (낭인전 Le Vagabond) qui raconte Byeon Gang-soe, l’un des douze cycles de pansori. Celui-ci offre une vision humoristique de la vie souvent douloureuse des gens du commun. Dans la version de Kim, les loups-garous sont incorporés dans une réinvention SF des pansori traditionnels. Kim a fait ses débuts littéraires en remportant la première édition du concours de fantaisie urbaine de Golden Bough pour sa nouvelle, « Raosanghaiui siginjadeul » (라오상하이의 식인자들 Les cannibales du vieux Shanghai). Situé dans le Shanghai animé de 1934, le protagoniste de « Raosanghaiui siginjadeul » est un jiangshi qui s’attaque au qi des hommes occidentaux tout en se faisant passer pour un « garçon moderne » urbain. L’histoire qui en résulte est un vol de fantaisie mettant en scène un tueur en série Jiangshi sur fond de Shanghai des années 1930. Par une nuit claire est son premier roman complet.

    Par une nuit claire est un polar historique, certes, mais ce roman traite de thèmes féministes

    On suit un médecin légiste, A-Ran, qui est en réalité une sage-femme. C’est la fille naturelle d’un préfet et elle enquête de manière discrète sur la mort d’une femme dont on n’a pas réclamé l’autopsie. Déjà, est-ce possible qu’A-Ran ait pu être légiste ? Alors non, car la plupart des métiers de la médecine sont réservés aux hommes. Maiiiiissss… Et bien oui, on peut avoir un petit chemin de traverse, comme beaucoup de femmes. Les métiers médicaux qui sont réservés aux femmes, c’est bien entendu tout ce qui traite du corps féminin : donc les sage-femmes. Et il est tout à fait possible qu’avec une éducation adéquate, elle ait la possibilité de lire et d’avoir accès à des traités de dissection, par exemple, puisqu’on sait que ces manuels existent. Par conséquent, avec les bons appuis (comme étant la fille d’un dignitaire), elle peut être embauchée dans un service qui pratique aussi des autopsies.

    On parle aussi beaucoup dans ce roman d’enfants légitimes et d’enfants illégitimes et de leur statut. Cela montre une société très hiérarchisée et surtout très accès sur une espèce d’élite. On n’a évidemment pas de trace d’enfants illégitimes puisqu’ils n’avaient pas accès aux hauts postes dans l’administration. Cela ne veut pas dire qu’ils aient pu faire une carrière plus petite et donc moins retranscrite dans les livres historiques. C’est le biais que va prendre l’autrice pour nous montrer ce point de vue. On voit donc une histoire de l’élite coréenne, avec un scandale puisqu’il y a une enquête policière pour un crime grave, mais l’autrice va nous montrer tout le boulot qu’il y a avant le résultat.

    On va parler aussi de la pression exercée pour ces jeunes femmes qui restent encore à marier. On y voit la domination que peuvent exercer les mères, que ce soit pour les enfants naturels et les officiels. On y voit les différents mariages possibles, mais aussi et enfin le poids de la réputation. Cela n’était pas une période simple quand on vivait en famille à l’époque, et la marge de manœuvre pour les générations futures était extrêmement mince. Et quand on compare à des romans plus contemporains (comme Bienvenue à la librairie Hyunam de Hwang Boreum, par exemple), et bien ce sont des thèmes toujours actuels.

    Et puis, parler de personnes dont on ne parle pas dans l’Histoire écrite, et bien c’est aussi un devoir de mémoire. Alors ce n’est pas facile parce que je pense que l’autrice a dû jouer avec les écrits, faire des recherches assez poussées et surtout garder sa rigueur qu’elle a eue dans ses études journalistiques et les appliquer à son roman. Pour que cela soit crédible. Pour qu’on puisse aisément se projeter aussi.

    Et tout cela, c’est possible grâce à l’écriture de Kim Yi-Sak

    Il faut que vous compreniez que ce polar historique est très simple à lire. On est dans une écriture assez immersive avec le point de vue de deux personnages principaux : d’un côté A-Ran qui est notre héroïne et Yoon-O, le fils caché du roi qui évolue dans l’administration. On a ainsi de mêmes difficultés puisque les deux n’ont pas de reconnaissance officielle, mais on a une mise en valeur des difficultés que peut avoir A-Ran du fait qu’elle soit une femme.

    Par ci par là, l’autrice va nous mettre tous les ingrédients historiques, mais sans non plus placarder les informations comme je vous l’ai fait plus tôt. On est dans l’immersion totale et de manière assez légère. Et c’est en faisant deux ou trois petites recherches de mon côté, et bien cela fait complètement sens.
    C’est un style direct, qui n’en fait pas trop et qui décrit autant les objets, les situations et les sentiments des personnages. Elle y mélange la science avec le folklore aussi. On en ressort avec un récit très lisible, mais aussi poétique à sa manière. Et croyez-moi, avec quelques libertés scénaristiques, on a une assez bonne vision de la réalité historique de la Corée.

    Et Par une nuit claire, cela donne quoi ?

    Cela donne un polar prenant. L’autrice ne nous donne pas de grosses ficelles. J’ai été assez surprise par la fin. Il y a un peu de romance mais pas lourde. Dans ce contexte, elle passe en arrière-plan mais sert vraiment l’intrigue. Et surtout, et bien, on voyage littéralement dans la Corée du XVeme siècle. On en apprend plus sur l’administration, sur l’univers assez codifié qui y est présent, on sent très vite qu’il y a beaucoup d’intrigues politiques et surtout, on en apprend sur les métiers de l’époque et sur le contexte social et politique.

    Et en fait, quand on regarde bien, Par une Nuit claire peut totalement avoir sa place dans toutes les réécritures féminines de l’histoire occidentale. Vous aurez en plus l’avantage que l’autrice ne prend pas comme beaucoup de nos contemporaines des mythes assez connus. Ici, on découvre. C’est frais et en prime, on se cultive. Et ça, j’aime bien !

    Que lire après Une nuit claire ?

  • chemin de randonnée avec dessus la couverture d'Une vie de Saint de Christophe Siébert

    Titre : Une vie de Saint

    Auteur : Christophe Siébert

    Maison d’édition : Au Diable Vauvert

    Genre : Horreur

    Où trouver le livre ? Clique ici

    On a les potes qu’on mérite, comme je le dis souvent. J’avais lu par erreur un livre que je pensais être de la Fantasy et qui, en réalité, racontait l’histoire d’une légion allemande dont les membres avaient déserté et qui ont été réintégrés de force dans l’Allemagne nazie. Je vous avouerai que c’était dur de présenter le livre et, en riant, cette connaissance me tend Une vie de Saint de Christophe Siébert, publié Au Diable Vauvert, en me disant ce slogan magique : « Dans ce livre, il n’y a pas de nazis ». Alors oui, effectivement, puisque Une Vie de Saint retrace la vie de Nikolaï le Svatoj dans un pays imaginaire appelé Mertvecgorod et que ce NiKolaî, c’est une réécriture de la vie de Raspoutine. Une vie de Saint n’est pas un one shot mais fait partie d’un cycle. Cela dit, vous pouvez totalement le lire de manière indépendante. Par contre, vous devez être prévenus, le style d’écriture est violent et cru. Hasard de mon calendrier de lecture, j’ai entamé joyeusement une gastro en commençant le livre. Je vous laisse m’imaginer recroquevillée dans le canapé, découvrant le style de Christophe Siégert en courant comme une dératée vers les toilettes assez régulièrement. Et quand on m’a demandé comment était le livre, tout ce que j’ai pu répondre c’est : « Avec du Vogalen, cela passe très bien ». Et ce n’est pas une dépréciation du style de l’auteur ou de l’intrigue, car rien n’est gratuit dans ce monde fictif. Et vous allez voir pourquoi.

    Parce que mon histoire de Vogalen, elle n’est pas si déconnante que cela. Souvent, quand on termine un livre, qu’on le referme, on sait d’emblée plusieurs choses : si on aime l’histoire, le style, si on a passé un bon moment. Eh bien, quand j’ai fermé Une vie de Saint, je n’avais pas de réponse. Et cela ne m’arrive pas si souvent, donc cela m’interpelle. Parce que je ne me suis pas ennuyée, je l’ai lu d’une traite. Alors, oui, il a fallu que je m’accroche parce que l’écriture est acide, on a un regroupement de « témoignages », de documents. En fait, on est à la croisée de plusieurs genres ici : un épisode de 24 heures chrono, un reportage Arte sur un gourou et une biographie. Et tout cela dans un monde franchement pessimiste, violent et cru. C’est cela une vie de Saint avec un ping-pong qui fait allusion assez souvent à d’autres romans du cycle (mais introduit de manière à ce que l’on ne soit pas perdu) et tout cela dans un univers très riche et très bien pensé.

    Des personnages qui nous échappent

    On suit la vie de Nikolaï le Svatoj, à travers différents témoignages et différents documents. Et je vous ai dit tout à l’heure que c’était une réécriture de Raspoutine, et je trouve que c’est le mot juste. Parce que lorsqu’on se penche sur la vie de Grigori Raspoutine, né en janvier 1869 et mort assassiné le 17 septembre 1916 à Petrograd, on ne peut s’empêcher d’y voir des passerelles, des points communs. En effet, Raspoutine était un mystique et un guérisseur russe. Il avait une telle aura qu’il pouvait séduire qui il voulait. Sa réputation grandissant, il fut propulsé à la cour tsariste où la famille le considère comme une espèce de prophète. Ce qui n’est pas du goût de ses ennemis qui le considèrent, lui, comme un charlatan. Il est très difficile de relater en détail de la vie de Raspoutine car c’est un personnage plein d’ombres, de légendes. Et je pense que l’auteur s’est dit : OK ! On va prendre le concept de ce personnage et on va le transposer dans notre époque. Qu’est ce que cela peut donner ? Et bien, cela donne Une vie de Saint : un guérisseur qui devient proche du pouvoir, puis qui devient rockstar, gourou et enfin terroriste et nous on enquête pour démêler le vrai du faux dans la vie de Nikolaï le Svatoj. A-t-il eu réellement des pouvoirs ? On sait pas. Est ce que c’était un roi de la manipulation ? Sûrement ! Croyait il en ce qu’il disait ? Et bien dans une certaine mesure, je le pense vraiment.

    Je pense qu’il croyait vraiment au fait que suite à un coma, il a été sauvé par « La Belle Dame ». Mais est-ce qu’il pensait que ses pouvoirs venaient vraiment de cette figure ? Je pense qu’il a fini par le croire à force de le raconter, en fait. Je pense que son style de vie a favorisé grandement certaines hallucinations. Mais que, en même temps, il y a cette fameuse roche noire du début du roman qui est vraiment malfaisante : un petit ajout de fantastique de la part de l’auteur juste pour nous brouiller les pistes. Je pense aussi que les adeptes du Culte Noir pensaient vraiment qu’ils avaient des pouvoirs. Mais est-ce parce que la fameuse roche était radioactive ou parce qu’elle est vraiment surnaturelle ? J’en sais rien. Mais ce que je sais, c’est qu’on a un groupe qui est manipulé par une personne, Maria, qui a été l’élève de Nikolaï et qui avait soif de pouvoir.

    Je pense que les personnes qui tournent autour de Nikolaï sont pour la plupart des marginaux, des malades, des désespérés et que, lui, avait tout compris. En les guérissant ou en les persuadant de les avoir guéris, il s’est propulsé en haut de la société au final. Parce qu’il avait la voix du peuple alors que Maria, elle, avait choisi de manipuler la haute société. Je pense que ces deux personnes étaient tellement anonymes au début que les journalistes n’arriveront jamais à retracer leurs parcours car l’histoire et la légende se mêlent. C’est du bouche à oreille en fait.

    Et ça est souligné par les thèmes du livre qui montrent une société décadente


    On est dans la ville de Mertvecgorod, une espèce de ville cauchemar. Elle est censée être située entre la Russie et l’Ukraine, née de l’effondrement de l’URSS. Cela donne un État complètement gangrené par la corruption, l’illégalité et surtout c’est une ville ultra polluée. C’est clairement un état des lieux de certaines villes soviétiques après le démantèlement de l’URSS. On a enlevé ce régime mais les anciennes personnes sont toujours là, s’accrochant au pouvoir. Et les habitants n’ont pas beaucoup d’espoir parce que leur taux d’acceptabilité est bien haut, entraîné par des années d’injustice. Et puis, cette ville a un système très oppressif. Tout le monde peut dénoncer tout le monde ici sans problème. C’est dans ce contexte de dictature déguisée, dont les membres sont orientés par les membres du Culte noir, que vient Nikolaï qui lui s’occupe des gens, tout simplement.

    Et c’est en cela qu’il est dangereux. Non seulement pour les personnes au pouvoir, et bien Nikolaï représente une menace car la population les suit. Mais c’est aussi une menace quelque part pour les marginaux, car il va les emmener un peu n’importe où. Parce que dans cette ville, on n’a plus à faire avec des marginaux et des exclus. Et on voit bien tous les mécanismes qui font que personne ne va pouvoir s’en sortir. Tout est fait pour que tout le monde reste à sa place. Même les choses qui pourraient donner de l’espoir, comme la religion, ici avec l’image de la Belle dame, sont dans cette histoire complètement salies, perverties.

    Enfin, la violence, le gore, le sexe, la corruption sont absolument partout. Il n’y a rien de beau, réellement, dans ce monde. Les politiques sont corrompus, cela, vous l’avez bien compris. Mais les hommes d’Église le sont aussi. Et enfin, même les « miracles » sont détournés. La vraie question que pose l’auteur, selon moi, c’est celle-ci : peut-on vraiment être saint dans un monde si pourri ? Et si l’on considère que oui, et bien, est-ce bien l’image de Nikolaï qui est celle d’un saint ? Voilà qui est intéressant

    Et tout ceci est mis en valeur par le style de Christophe Siébert

    Les idées sont là, mais pour que ce roman dépasse un peu le côté gore, pour que ce roman nous happe, dépasse le fait qu’il soit très dur à lire. Je le rappelle, parfois, je fermais le livre en me demandant tout de même ce que j’étais en train de lire. Et ce n’était pas entièrement une question de gastro. Eh bien, c’est le job de l’auteur, ça. Et en y réfléchissant, je me suis demandée quand j’avais retrouvé cette sensation dans la lecture.

    Eh bien, la dernière fois que j’ai vécu cela, je veux dire : le nœud dans le ventre, ce sentiment que je ne pourrai pas continuer ma lecture mais que je poursuis quand même. Eh bien, c’était dans La Terre de Émile Zola. Ce que fait Christophe Siébert, c’est cela : du naturalisme mais poussé à l’extrême. L’auteur va analyser toute la société et la décrire sans fard. Et pour pousser le curseur encore plus loin, il prend une ville dans un monde un peu alternatif qui est Mertvecgorod. On y voit une vision ultra lucide de la misère sociale, dans le sens où la pauvreté n’est pas un problème individuel mais c’est nourri par le système. Par contre, il existe toujours un certain système d’entraide dans les communautés marginales. Par contre, et bien accrochez-vous parce que tout est sans filtre. Si vous êtes rebutés par des scènes de sexe, de violence, de gore, de drogue régulièrement dans vos pages, trouvez des résumés. Tout simplement.

    Mervetgorod, c’est la représentation de systèmes politiques et économiques complètement gangrénés par le capitalisme et ouvrez les yeux, c’est ce vers quoi on tend. On a une grosse montée de la corruption, des personnes puissantes qui peuvent se permettre tout et n’importe quoi, des forces de l’ordre qui sont plus une menace qu’un moyen de protection pour le peuple. Une justice à deux vitesses, un système social inégalitaire. L’identité nationale est un outil de contrôle idéologique parce qu’en vrai, les politiques n’ont aucun attachement à leur pays.

    L’auteur a une vision assez lucide sur la nature humaine en fait et c’est ce miroir qu’il nous tend. C’est tout sauf agréable à regarder, on ne va pas se cacher. Et en utilisant un peu ce système de reportage que l’on voit dans ce roman, ce début un peu à la 24 heures chronos, et bien cela nous ancre cette histoire dans le réel en fait.

    Et est-ce que cela marche ?

    Bien sûr. On a là un bon exemple que le roman punk, cela fonctionne. On a cet effet waouw. Je l’ai lu il y a déjà quelques mois et je ne vais pas vous mentir. Le plus dur, ce n’est pas de le lire, ce n’est pas de l’aimer. C’est d’en parler avec justesse. Il faut soutenir ce genre de littérature parce qu’on y allie à la fois les idées et le style d’écriture. C’est un peu le genre de recommandations qu’on se donne sous le manteau. Qu’on donne avec tous les trigger warning possibles en disant mais : « tu verras. Ce livre va te changer ». Christophe Siébert s’amuse à nous distribuer ses idées comme des coups de poing et nous, on encaisse, tout simplement.

    Alors, que lire après ?

    • La Terre d’Émile Zola. Oui, je sais, proposer un classique alors qu’on a affaire à un livre si moderne. Eh bien oui, moi aussi j’ose. Mais j’ai eu vraiment cet aspect avant/après.
    • Utopies réalistes de Rutger Bregman. Et oui, vous pourrez dire que j’ai pété un plomb, mais si vous voulez comprendre les mécanismes de la pauvreté institutionnelle, et bien ce livre va vous le donner.
    • Enfin, Moloch de Thierry Jonquet pour la plongée dans les côtés les plus noirs de l’âme humaine. Si jamais il vous restait un peu d’espoir en l’humanité ;)

  • Paysage de promenade avec au dessus la couverture du livre : Chroniques des années noires de Kim Stanley Robinson

    Titre : Chroniques des années noires

    Auteur : Kim Stanley Robinson

    Maison d’édition : Pocket

    Traducteurices : David Camus, Dominique Haas

    Genre : Science- Fiction

    Où trouver le livre ? Clique ici

    Je discutais livre avec une copine et elle me dit qu’elle compte lire les Chroniques des Années noires de Kim Stanley Robinson en me disant que c’était une uchronie. Pour celleux qui me connaissent, vous savez déjà que j’étais emballée. Mais elle est allée plus loin en me disant : Imagine que la Peste Noire a totalement éradiqué ou presque les Européens. Qu’est-ce qui va se passer ? À ce moment-là, j’étais en train de chercher la référence comme une petite folle et tout faire pour me procurer ce livre afin de le lire très rapidement, tout en me disant que : Hey ! L’auteur me dit quelque chose !

    Tu m’étonnes que Kim Stanley Robinson, cela me dit quelque chose ! Il est né le 23 mars 1952 à Waukeban, en Illinois, et c’est un auteur incontournable de Science-Fiction. Mais si, vous en avez entendu un peu parler, j’en suis sûre. La trilogie Martienne par exemple : Mars la rouge, Mars la verte et Mars la bleue dans les années 90. Plus récemment, il a écrit Aurora en 2015 où il réfléchit sur les limites du voyage interstellaire, mais aussi New York 2140 qui est une anticipation climatique sur une métropole et le Ministère du Futur en 2020 qui parle toujours de la crise climatique. Ce qu’il aime, Kim Stanley Robinson, c’est parler de politique, de sciences qui élèvent les gens, il aime réfléchir aussi sur notre rapport à l’Histoire, comme on le voit dans ce livre, et il aime parler et réfléchir sur l’écologie. Un homme bien quoi. Lisez du Kim Stanley Robinson.

    Et les Chroniques des Années noires, c’est exactement comme m’a dit ma copine : on a 700 pages de réflexions et de spéculations qui repensent le monde entier sans le monde Occident Chrétien. Et spoiler alert, le monde s’en sort ! Et surtout, il nous fait cela du XIVe siècle à nos jours. Pour pouvoir suivre une civilisation dans le temps, on va suivre des âmes pendant leur processus de réincarnation. Et chaque chapitre se focalise sur une époque différente de cette histoire alternative. Et ce concept est incroyable parce que c’est un concept que j’aime bien, autant l’avouer. Mais je vais surtout vous l’expliquer.

    Une approche narrative différente.

    J’ai déjà suivi des sagas qui se déroulent pendant des millénaires ou des années. Pour cela, on a le choix entre plusieurs hypothèses. On peut suivre une famille mais il faut avouer que cela tue un peu le suspense car la dynastie ne peut pas s’éteindre. Mais c’est un peu ce que les personnes font quand ils gèrent ce genre de sagas parce que les lecteurices aiment plutôt bien suivre des personnes.

    On a le cas Fondation d’Isaac Asimov qui lui va changer de personnages dans chacun de ses tomes. Mais on sait qu’il y a des changements d’époque, notamment parce qu’il y a une petite introduction qui nous parle de la planète et de l’époque en question. C’est d’ailleurs une difficulté pour les calleux qui veulent l’adapter. Car quand on regarde la série Fondation (disponible sur Apple TV si jamais), on voit que les scénaristes ont utilisé trois personnages permanents : Hari Seldon, le scientifique principal et fondateur de la Fondation, est devenu une sorte d’intelligence artificielle issue de la copie de sa mémoire puisque c’est ce qu’il est dans le livre, mais surtout, cela permet d’avoir une sorte de guide. Mais dans la série, on a transformé deux personnages principaux en des sortes de personnages immortels : la disciple de Hari Selton qui voyage souvent et qui entre en stase, mais aussi l’Empereur qui devient un clone de lui même à chaque fois.

    Et puis on a Kim Stanley Robinson qui dit que, puisqu’on est dans un monde où le catholicisme a disparu, cela nous laisse le champ libre pour les réincarnations. Ainsi, on a quatre archétypes de personnages que l’on va s’amuser à retrouver dans tous les chapitres et même qu’il nous donne des indices puisque son prénom commence toujours par la même lettre. On a K qui est souvent le sceptique de la bande, le chercheur, celui qui questionne. B, lui est plus impulsif. C’est un peu l’âme guerrière qui va se mêler de politique. Il est la voix la plus douce : c’est le conciliateur qui va tenter à chaque fois de tempérer et d’harmoniser nos personnages. S, c’est l’élément perturbateur, le chaotique du groupe, celui qui va enclencher des révolutions.

    Chacun de ses personnages a une vie propre. Personne ne se reconnaît au début. Mais par la force des choses, ils se retrouvent. On ne sait jamais s’ils sont des hommes ou des femmes. On ne connaît jamais leur importance non plus dans l’Histoire, car on couvre vraiment toutes les strates sociales. Mais à chaque fois, ils vont faire ce petit truc qui fait qu’on voit le mouvement historique en cours. Chaque vie va contribuer à un récit global.

    On n’est donc pas du tout sur un roman à intrigues. On n’est pas sur un roman avec des héros et des héroïnes. On est sur une fresque historique et philosophique. On lit de l’histoire alternative romancée. Ce qui fait que si on n’a juste envie de suivre la trame, c’est OK et vous passerez un bon moment. Quant aux amateurices d’Histoire, vous vous amuserez évidemment à faire des tonnes de théories, de comparaisons et de recontextualisations. Pour celleux qui se posent la question, je me suis, bien entendu, éclatée avec la chronologie.

    Les thèmes abordés dans ce livre sont universels

    Il y a un exercice que j’aime beaucoup faire en lisant quand je peux des autrices de différents continents, c’est de ne plus m’occidentalo-centrer. Et c’est un exercice assez difficile parce que nous sommes dans une culture européenne et je dirais même plus catholique. C’est un monde qui nous a façonnés. Alors voir un auteur américain blanc qui fait l’effort de changer totalement le curseur sans forcément prendre parti (si, bien sûr, un peu quand même car personne n’est neutre entièrement). Alors voir que sans les Européens et sans la religion catholique, et bien le monde roule quand même, les amis. Eh bien cela nous remet un peu à notre place. Cela montre qu’il n’y a pas de civilisation « supérieure » ou de mode de pensée plus évolué. Chacun fait à son rythme et c’est en fait le progrès technologique et la manière dont on l’appréhende qui nous fait évoluer. C’est l’Humain, tout simplement.

    Et puis j’aime bien le fait qu’il y ait ce système de réincarnation. Cela montre que nous ne sommes pas si importants, si essentiels en tant qu’individualité. On a tendance à oublier que l’être humain est un animal social et qu’il ne peut évoluer que grâce à un mouvement de groupe. Il peut régresser aussi. Et bien entendu qu’un individu peut influer sur un groupe entier. On le voit bien dans notre monde actuel. Mais le groupe peut tout aussi bien décider d’ignorer une influence négative et continuer à évoluer dans le « bon sens ». Mais parfois, c’est le contexte, qu’il soit social, politique, culturel voire même écologique, qui fait que le monde évolue dans tel ou tel sens.

    C’est pour cela que le savoir, les sciences sont importants. Parce que pour comprendre le monde, il faut chercher, confronter les points de vue et surtout rester curieux des autres influences. Il n’y a pas de meilleur courant de pensée. Il faut juste vérifier et expérimenter pour savoir si cela fonctionne ou pas. Et les meilleures idées ne prendront peut-être pas parce que le contexte politique, économique et social ne le permet pas. Dans tous les cas, le progrès moral est possible. Et surtout, il ne faut jamais renoncer aux utopies car ce sont elles qui font avancer le monde, le progrès.

    C’est de tout cela que traite ce livre en explorant les découvertes, les progrès technologiques mais aussi les guerres. Au travers de ces diverses réincarnations, on s’interroge aussi sur la mémoire collective, l’oubli parfois mais aussi la reconstruction après divers traumatismes.

    Les Chroniques des années noires, un livre parfait ?

    Ce livre avait été très bien reçu par les critiques, je vous rassure. Car le contenu est incroyable. L’auteur a fait un travail de dingue. Il a été d’ailleurs finaliste du Prix Arthur C. Clarke en 2003 et les universitaires l’apprécient beaucoup. Les amateurs de Science-Fiction dite cérébrale aussi, d’ailleurs. Et j’en fais partie, donc autant vous dire que j’ai apprécié toutes les pages.

    Mais on ne va pas se leurrer entièrement. Ce n’est pas un livre parfait pour tout le monde. Et même pour moi. Déjà, le fait qu’il n’y ait pas de personnages hyper fouillés car ce sont des archétypes de personnalité. Leur histoire, leur chemin de vie n’est pas si importante en fait. Et je sais que beaucoup n’apprécieront pas ce type de récits car la norme est bien d’avoir un héros ou une héroïne assez classique.

    Il y a aussi quelques longueurs. On sent parfois que l’auteur s’interroge, tâtonne un peu sur certaines idées et sur certaines périodes historiques. J’avoue que parfois, je me demandais où l’auteur voulait aller. Un peu comme dans un Stephen King où vous vous dites que l’auteur ne sait pas vraiment écrire une fin et s’arrêter au bon moment. Pour ma part, c’est totalement OK car je laisse mûrir le récit dans mon esprit et il continue son chemin. Tout simplement.

    Pour moi, c’est un livre à interrogations. Un livre fait de curiosités car on se pose de bonnes questions en lisant Chroniques des Années noires. On se remet en cause soi-même et on remet en cause la période dans laquelle on vit. C’est un roman pour prendre du recul, tout simplement.

    Alors, que lire après Chroniques des Années noires de Kim Stanley Robinson ?

    Excellente question !

    • La première uchronie qui me vient et qui a extrêmement bien fonctionné, que ce soit en livre ou en série, c’est Le Maître du Haut Château de Philip K. Dick. On imagine un monde où l’Allemagne nazie a gagné la guerre et on voit ce qui se passe au niveau géopolitique
    • J’adore l’espace et même si Chronique des Années noires n’en parle pas du tout, on va en ajouter un petit peu avec Voyage de Stephen Baxter. Pour moi, c’est sûrement l’uchronie qui a en partie inspiré la Série For All Mankind que je vous conseille. Et en gros, c’est de se demander : et si les Américains avaient continué la conquête spatiale pour aller sur Mars ? Qu’est-ce que cela implique pour le progrès technologique, mais aussi les forces politiques en cours.
    • Et parce que je ne peux pas vous laisser sans une uchronie écrite par une femme incroyable, je vous redirigerai sur Le Cercle de Farthing de Joe Walton. On reste sur l’Angleterre avec un meurtre en 1949. Le Royaume Uni avait signé une paix avec le Troisième Reich et tout dans ce meurtre désigne un membre de la communité juive. Et on voit les conséquences de tout cela au travers de l’enquête. Ce roman est le premier de la trilogie de Subtil changement.
  • Chemin de randonnée. Dessus, la couverture de la Cité des marches de Robert Jackson Bennett

    Titre : La cité des marches

    Auteur : Robert Jackson Bennet

    Saga : Les Cités divines

    Numéro de tome : 1

    Maison d’édition : Albin Michel

    Traductrice : Laurent Philibert-Caillat

    Illustrateur : Didier Graffet

    Genre : Fantasy

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    Robert Jakson Bennett, je l’ai découvert grâce à sa trilogie Les Maîtres Enlumineurs qui a été une claque. Et le plaisir en avait été décuplé parce que je l’ai lu en duo avec ma fille. Et notre enjeu avait été de trouver une autre lecture commune à la hauteur. Heureusement pour nous, les hasards de la traduction ont fait que la nouvelle trilogie de l’auteur : les Cités divines, commençait à sortir. Et c’est ainsi que nous nous sommes embarquées dans la Cité des marches, le premier tome, paru chez Albin Michel. Et qu’est-ce que cela raconte ? On est sur la ville de Belikov, une cité qui est entièrement régie par des divinités. Sauf qu’il y a eu un événement que l’on nomme le Vacillement et les dieux ont disparu. Cela a complètement brisé la cité qui est entrée sous la houlette de l’Empire de Saypur, un empire laïc qui interdit toute religion. Un historien saypurien est assassiné et pour enquêter sur ce meurtre, c’est une espionne se faisant passer pour une diplomate qui arrive : Shara Thivani. On suivra son enquête. Mais est-ce que cette histoire est de la même qualité que les Maîtres enlumineurs ? Tout à fait ! Sous un angle et un univers totalement différent, on retrouve tous les ingrédients qui font que l’auteur nous offre des sagas de qualité avec autant de réflexions que d’amusements !

    Une cité dont on a effacé l’Histoire

    Dans la Cité des Marches, on découvre Boulikov qui est une cité autrefois magnifique mais qui est maintenant occupée par Saypur. Déjà, nous sommes surpris car ce n’est pas du tout la dynamique habituelle que l’on retrouve dans un roman de fantasy. On n’est pas sur une nation coloniale qui domine un empire barbare ou magique. Saypur est une ancienne colonie dont on a vaincu les divinités. On pourrait croire que c’est pour une nation égalitaire et affranchie de toute type de domination. Mais non. Il reproduit exactement la même chose. Mais en retirant la foi religieuse, parce que Saypur se veut être une nation laïque et rationnelle. Donc, pour retirer les « mauvaises habitudes » des cités divines, elle interdit toute représentation religieuse et tout objet magique est parqué dans un entrepôt. Saypur pratique ici une forme de colonialisme moral et culturel et on a déjà vu cela, provoqué par le colonialisme européen. En le transposant dans un univers moderne, on mesure plus les impacts. Cela devient tangible. Et avec le côté divin de la cité, on voit les conséquences directes et matérielles de cet effacement de la mémoire collective : des bâtiments perdent leurs portes, des escaliers mènent nulle part. La population est silencieuse

    Et pourtant, la mémoire est toujours là

    Et pourtant, même si les dieux sont tués, ils sont encore présents. Au tout début du roman, on a un procès sur une enseigne de commerce qui utilise un visuel divin. Cela montre que peu importe la répression, on garde en nous une certaine mémoire collective, une certaine culture. Je vous donne un exemple. En 1789, plus d’un quart de la population française ne comprenait pas le français. Le 25 mai 1794, l’Abbée Grégoire recense plus de 35 patois différents et cela le contrariait beaucoup. C’est en 1870 que la langue française seule est imposée. Et pourtant, presque 200 ans plus tard, certains patois, ou langues régionales, sont toujours là. Certains panneaux de villes sont traduits. L’auteur nous montre via Saypur que, quoi qu’on fasse, il restera toujours un petit bout du passé, qu’il fait toujours partie de notre identité, peu importe si l’Histoire a été réécrite. Il montre aussi que nos villes sont aussi le reflet de notre histoire. Si on l’efface, elle perd de son essence. Dans Bulikov, des miracles persistent : il y a des passages qui mènent dans d’autres lieux, par exemple.

    L’enquête comme outil de révélation

    Et pour rechercher un peu ce passé auquel nous, lecteur, on n’a pas accès, Robert Jackson Bennett décide de prendre le biais de l’enquête policière. Parce que si on est dans un roman de fantasy, ce qu’on lit, c’est bien un roman policier ! Un historien qui étudie des objets divins a été assassiné. Est-ce parce qu’il avait des ennemis ou est-ce à cause du sujet qu’il étudie ? Et Shara, elle doit enquêter sur ce sujet alors qu’elle vient du monde colonisateur. Donc, en plus, elle n’a pas les codes, ce qui va nous permettre à nous de gratter la surface petit à petit et comprendre ce qui ne va pas avec ce système. Comment sont morts les dieux ? Quels ont été les impacts sur cette population et comment elle réagit ? Bulikov est-elle réellement soumise à Saypur ? Quelles sont ses attentes pour le futur ? Comment découvrir la. Vérité dans un monde régi par la censure et le mensonge d’État car oui, Saypur a totalement réécri cette histoire. On ne sait pas ce qui s’est réellement passé ! Quel secret cet historien a-t-il bien pu déteniir pour que cela lui coûte la vie ?

    Attention, Spoiler possible : des personanges forts

    Et pour nous délivrer tout cela, Robert Jackson Bennett nous donne des personnages bien fouillés. Attention, ce que je vous raconterai ici peut vous spoiler un peu.

    Shara Thivani est notre protagoniste principale. On sait que c’est une espionne, mais aussi qu’elle se fait passer pour une diplomate. Sa tante fait partie du gouvernement Saypurien, ce qu’elle cache. Et surtout, c’est une descendante du Kaj, le fameux héros qui a tué les divinités. C’est une femme discrète, observatrice, intellectuelle mais assez têtue. Elle aime chercher la vérité. C’est une femme de convictions, assez dure mais constamment tiraillée entre sa loyauté, la raison d’État aussi et la vérité historique. Elle incarne un peu cette ambiguïté post-coloniale : elle veut comprendre, parfois même réparer, mais sans enlever l’hégémonie de Saypur.

    En face d’elle, notre auteur nous colle Vohannes Votrov, un homme influent qui a étudié à Saypur, là où il a rencontré Shara et où il a eu une liaison avec elle. Il veut que son pays retrouve sa gloire d’antan et qu’il puisse de nouveau briller, mais Saypur le brime économiquement : ils ont des quotas de production, des taxes supplémentaires, par exemple. Quand il parle de sa culture, on le qualifie d’exotique et il a subi de la xénophobie tout au long de sa vie.

    Pour seconder Shara, on a Sigrud. C’est un garde du corps qu’on pense être simple et violent. Et pourtant, il était un prince dans son pays et il a perdu toute sa famille à la guerre. C’est un exilé qui ne trouve pas sa place.

    Et sur place, on a la magnifique Turyin Mulaghesh, une ancienne militaire qui a été catapultée à Bulikov. Elle n’a pas envie d’être là et la population n’a pas non plus envie qu’elle soit là. Et pourtant, elle fera sou maximum pour protéger les gens .

    En vrai, c’est de la Fantasy Politique

    C’est bon, vous pouvez rouvrir les yeux. Avec tous ces éléments, on a, pour un premier tome, un univers de fantasy extrêmement construit, une enquête policière assez fournie, des personnages profonds et cela donne un très bon roman de fantasy politique. Car c’est de cela qu’on va traiter au final, de politique, d’événements majeurs, de situations explosives. Et cela rend ce roman très actuel, au fond car on va parler de censure, de réécriture de l’Histoire et de mémoire. Je pensais que le fait qu’on parle beaucoup de religion allait appesantir ce roman, mais pas du tout. Ce n’est qu’un prétexte. Et au final, quand on regarde autour de nous, c’est une thématique encore bien présente dans notre quotidien. Cela présage une suite tout aussi ambitieuse. Et l’auteur s’est vraiment bien renouvelé d’une trilogie à l’autre. Ah j’oubliais ! Vous risquez de beaucoup rire en lisant la Cité des marches.

    Que lire si on a aimé la Cité des marches ? Très bonne question .

  • La guilde des queues de chats morts
    Paysage de plage avec la couverture du livre : La Guilde des Queues de chats mort de P. Djèli Clark

    Titre : La Guilde des queues de chats morts

    Auteur : P. Djèli Clark

    Maison d’édition : L’Atalante

    Traductrice : Mathilde Montier

    Illustrateur : Benjamin Carré

    Genre : Fantasy

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    Le Printemps 2025 ne pouvait être qu’une bonne saison car un rayon de soleil livresque était paru. L’Atalante a, en effet, sorti sa traduction du dernier roman court de P. Djèli Clark et c’est ainsi que j’ai sautillé littéralement de joie en rentrant chez moi dans le métro : Je tenais entre mes mains La Guilde des Queues de Chats Morts, après avoir passé une soirée à rire et discuter de mes lectures ainsi que de celles du comité de lecture de la Librairie les 4 chemins à Lille. Et si même les morts-vivants avaient à la fois de l’humour et une conscience ? C’est comme cela que l’auteur a décidé de me faire passer une excellente soirée à Tal Abisi, une ville avec ses contrats magiques et ses divinités que l’on peut invoquer pour rétablir des injustices.

    Nous sommes à Tal Abisi, en plein trois jours de festival célébrant les trois jours de marche pour défaire le Roi Horloger. Nous, on suit Eveen qui récupère son dernier contrat d’expédition auprès de Fenris. Eveen, c’est une assassine et c’est une morte vivante. Sauf que sa cible, elle lui ressemble un peu trop. Comment respecter un contrat sans se tuer soi- même ?

    Eveen, c’est une femme dont on ne sait rien et cela de par sa nature. Tout ce qu’on sait, c’est que de son vivant, elle a signé un contrat post mortem, ce qui fait qu’elle a été engagée pendant un certain nombre d’années. Pour cela, la Guilde des assassins l’a ressuscitée et elle effectue des contrats d’assassinat. Sauf que, dans ce contrat, on perd la mémoire, la plupart des sensations comme le goût, mais aussi la liberté.

    La question est : que reste-t-il de nous quand on n’a plus de souvenirs ? On pourrait voir Eveen comme une sorte de coquille vide, une enveloppe charnelle sans âmes, une esclave asservie par une déesse, par une guilde. Elle se sent étrangère à la liesse populaire qui fête trois jours de Carnaval. Et pourtant, durant moins de 200 pages, on découvre une femme incroyable. Elle se trouve en testant des activités.. Elle tente d’établir des relations, même si elle a du mal avec ses collègues de boulot ou les gens de son quartier. Eveen, elle a aussi une boussole morale, même si elle lui est propre. Et quand elle fait un choix, elle l’assume et elle est prête à faire des sacrifices importants pour eux. Elle a gagné le respect, l’amitié, l’amour et l’admiration de certain.es. Elle s’est construite sa propre famille. Eveen, elle nous montre que l’identité, ce n’est pas que notre passé, ce sont nos choix dans des moments difficiles.

    En parlant de mémoire, il y’a aussi ce carnaval qui nous montre comment on utilise nos fêtes historiques. Cela m’a donné envie de rechercher un peu à quoi correspondent les différentes fêtes. Cela m’a permis d’avoir un autre regard sur différents événements, comment on peut les tordre parfois aussi au fil des ans. La mémoire n’est pas fixe, que ce soit la nôtre ou la mémoire collective. Elle est mouvante, elle est vivante.

    Autre chose que j’aime particulièrement dans l’univers de P. Djèli Clark, c’est le traitement des divinités. Je dois dire que j’adore voir le traitement qu’il leur fait. Dans beaucoup de romans de fantasy, on a souvent des divinités inaccessibles. Je veux dire, nos héros et héroïnes se coupent en quatre pour elles, sacrifient tout pour elles, font même parfois des choses horribles pour elles et elles n’ont même pas un message de remerciement, un coup de fil, un bouquet de fleurs, que sais-je ? Notre relation aux divinités doit-elle être unilatérale ?

    Eh bien pas ici, croyez-moi. Alors, dans la Guilde des queues de chats morts, on ne voit que celle qui nous intéresse : Aeril, la matrone des assassins. Et ce n’est pas une divinité bienveillante ou omnisciente. Elle a son petit caractère, si vous voyez ce que je veux dire. Elle n’est pas impartiale non plus et surtout, elle a un ego surdimensionné. Et pourtant, je préfère vivre dans un monde avec ce genre de divinités car, au moins, une interaction est possible. Et ce n’est que mon avis, bien entendu. Mais ce que Clark fait en rendant Aeril accessible comme cela, il la transforme presque en un contre-pouvoir. Elle en devient un régulateur.

    Et par ce truchement aussi, on se rend compte qu’en fait, de Tal Abisi, on ne connaît vraiment que le point de vue populaire. . Quand on y réfléchit bien, on a le point de vue d’Eveen, une tueuse à gages avec ses clients, son quartier, sa déesse, ses amis. Demandez-moi comment est gérée la ville et je serai incapable de vous dire si des lois sont votées ou comment fonctionne la justice. Et ce roman n’a pas non plus cette vocation. Mais l’année prochaine, l’auteur pourrait écrire un autre roman prenant place dans Tal Abisi et en prenant une autre partie de la population et bien, non seulement je m’y retrouverai mais j’aurai une toute autre vision de cette ville. Amusant, non ?

    Surtout que je sais exactement dans quelle partie sociale de la ville où je me trouve par le ton employé. C’est celui d’Eveen, une personne totalement détachée des autres et déracinée puisqu’elle a perdu la mémoire. C’est un humour noir, un langage populaire, direct. Des échanges semblent absurdes car tout le monde ne partage pas les mêmes codes sociaux. C’est aussi pour cela que le roman est court, en dehors du fait que cela semble être un des formats préférés de l’auteur, mais c’est parce que le temps de cette histoire est bref et qu’elle est bourrée d’action. Cela contribue à nous emmener dans une espèce de tourbillon d’émotions fortes.

    Et cela fonctionne. On ne s’attarde pas sur les raisons qui animent Eveen car elle n’a pas de mémoire, pas de barrières sociales, c’est une femme d’apparence solitaire. On peut donc se concentrer sur l’action et l’intrigue. Et on n’a pas besoin de plus pour comprendre les enjeux de ce roman : l’auteur nous parle de justice, de mémoire, de famille d’adoption, de choix. Nous montre que même sans mémoire, on peut avancer et se forger sa propre éthique. Plutôt pas mal pour un roman court, non ?

    Alors, que dire de ce roman ? Est-ce qu’il aurait mérité quelques dizaines de pages en plus ? Eh bien non, car, selon moi, l’auteur a donné toutes les billes qu’il fallait, en fait, pour que ces pages naissent dans notre esprit. Tal Abisi est parfaite parce qu’on a une vision parcellaire de cette ville. Peut-être qu’on y reviendra. Peut-être non. Mais c’était un beau voyage.

    Que lire d’autre si on a aimé La Guilde des queues de chats morts de P. Djèli Clark ?

    • Du même auteur, je vous conseillerai Maitre des Djinns car le système de magie et l’époque sont différents. Mais c’est aussi un roman qui n’est pas court. Vous pourrez savoir dans quel format vous préférez l’auteur.
    • Noon du Soleil Noir de L. L. Kloetzer pour la manière de voir la ville et son histoire. Pour Noon, ce nécromancien qui n’agit pas comme on pourrait l’imaginer.
    • La saga du Dernier Apprenti Sorcier de Ben Aaronovitch. Parce que les divinités y sont aussi accessibles ici que dans l’univers de P. Djèli Clark