Autrice : Kameron Jurley

Maison d’édition : Le livre de Poche

Genre : Science-Fiction

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Je le dis toujours, il y a des livres qui vous marquent par leurs univers, leurs aventures, leurs personnages. Et puis, il y a aussi les livres concept qui réussissent ou pas d’ailleurs. Et, cerise sur le gâteau, il y a, selon moi, les livres à citations. C’est un peu tout cela qui s’est passé avec Nos étoiles sont légion de Kameron Hurley. Cela a été publié chez le Livre de Poche mais aussi chez Albin Michel Imaginaire. Cela a été traduit par un homme : Gilles Goullet et je vous le note parce qu’il a fait un super boulot, ce que vous comprendrez quand je vous raconterai le projet de ce livre.

Kameron Hurley est une autrice américaine âgée de 44 ans (oui, c’est la minute Wikipédia mais vous verrez, ça va être utile). Elle est romancière, nouvelliste mais aussi essayiste. autant vous dire que lorsque la dame se met à écrire un roman, c’est qu’elle a réfléchi sur le projet. Elle a eu moultes prix dont le Prix Hugo du meilleur écrivain amateur en 2014, le Prix British Fantasy de la meilleur œuvre non fictive en 2017 et enfin deux fois le Prix Ignoto du meilleur roman étranger en 2018 et 2020. Comme je vous le disais, Kameron Hurley est reconnue pour son travail, c’est une autrice très engagée dans le féminisme et elle aborde la Science-Fiction sous un angle féministe et queer.

Sauf que voilà ! La Science-Fiction et surtout en France, est une chasse gardée des hommes, même si nous, les femmes (je m’inclus car vous verriez certains regards quand je dis que la SF est mon genre préféré) progressons. Si vous voulez en être convaincus, lisez Futur au pluriel : réparer la Science-Fiction de Ketty Steward et vous comprendrez. (On en reparlera dans une autre chronique) Or, les Etoiles sont légion est un roman de Science-Fiction doublement atypique : non seulement il n’est situé ni dans l’espace ni dans le temps mais l’action se situe dans des vaisseaux organiques uniquement habité par des femmes. Je vous laisse imaginer la teneur des chroniques de bon nombre de mes collègues quand ils ont reçu leur service presse. Cela n’a pas empêché le roman d’avoir le prix Locus de meilleur roman de SF en 2018 mais, personnellement, je ne l’ai vu nulle part en tête d’affiche en librairie.

Commençons par le début : est-ce que l’histoire est bonne ? Jugez par vous même : quelque part dans une galaxie très lointaine en des temps indéterminés… Avouez, ça commence comme un Disney ! Allez un peu de sérieux ! Il y a une armada de vaisseaux organiques dont seule l’armature est faite en métal. Cette armada se nomme la Légion et depuis des décennies, il y a une grande bataille de factions pour s’emparer d’un vaisseau en particulier : le Mokshi car celui -ci a essayé de quitter la Légion. Il n’a pas réussi et depuis, il subit les assauts des autres.

« C’est la bordure qui nous a brisées. Quand nous l’avons franchie, quelque chose l’a franchi avec nous ».

Pendant ce temps-là, nous, on assiste au réveil de la Guerrière Zan. Celle-ci a perdu la mémoire. On sait qu’elle est amoureuse, retenue prisonnière dans un vaisseau et que ses habitants prétendent être de sa famille. On sait aussi qu’elle a été recyclée, sans précision aucune, et que cela fait plusieurs fois qu’elle tente d’envahir la Mokshi à l’aide d’un peloton, qu’elle échoue à chaque fois et qu’à chaque fois, elle est la seule survivante.

« La Guerre fait de nous toutes des monstres. Mais qu’arrive-t-il à celles d’entre nous qui souhaitent cesser d’être des monstres?  » .

On va commencer par l’intrigue en elle-même. L’autrice ne va pas vous simplifier la vie puisque Zan, le personnage principal, est amnésique. Donc, concrètement, vous serez dans le même état qu’elle : on a un objectif principal qui est de pénétrer et de chercher des informations et des ressources dans la Mokshi. Et il n’y a pas de question à se poser là-dessus pour deux raisons. La principale, c’est que si Zan ne le fait pas, elle meurt. Pardon, elle est recyclée je vous expliquerai cela un peu plus tard. Et surtout, on ne prend pas la peine de lui expliquer parce qu’on veut sûrement lui cacher un quelque chose et, cela fait des dizaines d’années qu’on reproduit ce schéma.

Toute ressemblance à des situations géopolitiques ou des déclarations publiques actuelles est totalement fortuite, bien entendu. Comment sait-on qu’au cache des choses à Zan ? C’est grâce à la deuxième voix de ce roman : Jayd, l’amante de Zan. Elle n’a pas perdu la mémoire donc on en sait… que ce qu’elle veut bien nous en dire.

On sait par exemple que le vaisseau sur lequel on se trouve s’appelle le Katazyrma. Il est dirigé par Anat, une vraie despote et seigneure de guerre et Jayd est une de ses filles (On y reviendra aussi après). Ce que veut Jayd , à part garder ses secrets, c’est contrer sa mère, arrêter le cycle des guerres et sauver la Légion. Vu comment elle n’énonce que des demi vérités à chaque fois, on en déduit qu’elle a plutôt utilisé des chemins de traverse. Et si vous vous demandez, vous devrez attendre quasiment le dernier chapitre pour comprendre son plan tordu.

« Quand au comprend la nature du monde, on a le choix entre deux possibilités : soit en devenir une partie et perpétuer ce système jusqu’à la génération suivante, soit le combattre, le briser, et construire quelque chose de nouveau ».

Maintenant qu’on soupçonne l’intrigue qu’elle est bien, laissez-moi vous montrer à quel point l’univers de ce roman est fou. Vous le voyez en couverture, on a affaire à des vaisseaux organiques, qui voyagent depuis on ne sait combien de temps. Mais comme tout ce qui est organique, les vaisseaux vieillissent et peuvent tomber malades. Le tout est de comprendre pourquoi.

« Les mondes naissent et meurent. Mais je ne m’attendais pas à ce que le monde qui meurt soit le mien  »

On a parlé de filiation tout à l’heure puisque Jayd est la fille d’Anat. On a parlé implicitement de sexualité puisque Jayd et l’amante de Zan. Et je vous ai dit tout à l’heure que c’est un monde peuplé uniquement de femmes. Si vous pensez à une espèce de société ruche, vous brûlez un petit peu parce que l’esprit n’est en rien collectif là dedans. Accrochez-vous à vos petites culottes parce que ça risque de chauffer un peu. Ici, les grossesses ne sont pas sexualisées. Vous pouvez avoir la partenaire que vous voulez, il n’y aura aucun soucis. Par contre, vos grossesses, vous ne les contrôlerez pas sauf si vous vous ôtez l’utérus ou si vous échangez votre utérus avec une autre personne. Quant à ce que produit votre utérus… oui, on peut dire que c’est comme une ruche ou une fourmillière. Votre corps produit ce dont votre vaisseau a besoin et vous ne gardez pas ce que vous accouchez ou vous pouvez accoucher d’une pièce de vaisseau par exemple, ou d’un animal, ou d’une humaine ou encore, chose plus recherchée, d’un monde c’est-à-dire du cœur d’un vaisseau.

« Ça ne les terrifient donc pas toutes de n’avoir de contrôle ni sur quand ni ce à quoi elles donnent naissance ? Mais c’est normal ici, non ?  »

Si vous vous demandez s’il y a un message de l’autrice avec ce mode de fonctionnement. Laissez-moi enfoncer une double porte ouverte, j’adore ça. En plus, je viens de lire un essai sur l’Etat des droits des femmes depuis le confinement, autant vous dire que je suis bien au taquet. Certains hommes souhaiteraient garder le contrôle sur la gestion des naissances et de la contraception des femmes et des personnes détenant un utérus, que ce soit dans le monde entier -coucou les Etats-Unis et l’annulation par la Cour suprême de l’arrêt Roe vs Wade le 24 Juin 2022- , en Europe -la fermeture des frontières a causé 1,4 millions de grossesses non désirées- ou en France – on parle de réarmement démographique, on recule comme on peut l’introduction du droit à l’avortement dans la Constitution et on obligeait jusqu’en 2016 les personnes transgenres à subir une stérilisation pour changer d’état civil !

Certains avanceront que, de toutes façons, les gens et même les femmes ne s’en plaignaient pas avant. Alors pourquoi s’en inquiéter maintenant ? Et bien parce que toutes ces personnes au mieux, encaissaient, au milieu avortaient dans des conditions déplorables et au pire, et c’était souvent le pire, en mourraient. Dans ce roman, les fausses couches et les risques de décès sont plus que fréquents mais cela disparait toujours parce que, quand quelque chose meurt dans ce vaisseau, et bien le vaisseau recycle. On efface les opposants mais aussi les résultats de grossesses non concluants. Mais personne ne dit rien car cela a toujours été comme cela et il n’y a que Zan, cette femme amnésique, donc un regard extérieur, pour le remarquer.

Qu’est-ce que cela évoque dans la réalité ? Et bien parlons fausse couche. Le sachiez-vous ? 85% des femmes en France peuvent souffrir de maux physiques et psychologiques, pendant le premier trimestre de leur grossesse. 25% des femmes subissent une fausse couche. Cela représente 200.000 personnes chaque année. La fausse couche est banalisée par la médecine parce que c’est fréquent. Mais cela laisse les femmes assez seules dans leur détresse physique, psychiques et émotionnelles. En général, le discours en médecine c’est de se projeter sur la prochaine grossesse. Or, dans le cas de la fausse couche, souvent, la grossesse est désirée, programmée et je ne vous parle pas des injonctions à la maternité qu’on donne aux femmes. Et pour le coup, je ne parle pas des autres personnes qui portent un utérus car vous vous en doutez, on leur met plutôt des bâtons dans les roues. Or, quand on voit une grossesse désirée s’interrompre de manière abrupte par un fausse couche, la personne le vit comme un deuil. Et je vous passe le nombre de témoignages où des femmes ont dû « tirer la chasse » sur leurs embryons. Et on sous-entend régulièrement que s’il y a fausse couche, que c’est la faute de la personne enceinte. Ce n’est que par la loi du 7 Juillet 2023 où on peut obtenir un arrêt maladie sans jour de carence.

« Je ne trouve pas correct que des femmes donnent naissance à ce dont le monde dit avoir besoin et non ce dont elles ont envie ».

Un dernier thème pour la route, si vous tenez encore le choc. On va parler de guerre et de prix de la vie. On a affaire ici à des guerrières impitoyables. La valeur de la vie individuelle est, comme vous vous en doutez, pas très élevée. Et pour parvenir à rétablir la balance, à sortir de ce cycle infernal, nos deux personnages principales ne font pas des choses tendres. Mais elles y sont obligées car tous ces vaisseaux, ces mondes, en perpétuant ce mode de fonctionnement, sont en voie d’extinction. Ces femmes pensent œuvrer pour le bien commun : pour les femmes qui ne voient pas qu’il existerait une autre solution, pour les femmes qui ne veulent rien changer, pour les femmes qui aimeraient changer mais qui n’en trouvent pas la force. Mais qu’est-ce qu’on va retenir de Zan et Jayd ? Jayd, celle qui garde la mémoire va être retenue comme la traîtresse. Zan, par contre, tant qu’elle n’a pas recouvert la sienne, a une chance d’être une héroïne

« On est davantage que la somme de ce qui nous est arrivé ».

Je m’arrête là, sinon je vais être obligée de vous raconter l’histoire. Et croyez moi, à part vous dépeindre le tableau, vous semer quelques citations marquantes et donné des pistes de réflexion, je ne vous ai rien dévoilé. Je disais tout à l’heure que le travail du traducteur, Gilles Goullet, était impressionnant et c’est le cas. car à aucun moment, il n’a cherché à masculiniser le récit, sinon, il aurait complètement dénaturé cette œuvre. Et pour avoir lu quelques passages en V0, je peux dire que l’esprit a été respecté.

On a vu il y ‘a deux semaines un roman qui poussait l’inclusivité au maximum avec un Psaume pour les recyclés sauvages de Becky Chambers. L’inclusivité y était vue comme quelque chose d’apaisant. Ici, on pousse les cursus beaucoup plus loin. Nous avons un roman de Science-Fiction sans aucun homme à l’horizon, dans un monde où les hommes ne semblent jamais avoir existé. Cela montre que la violence n’est pas genrée et on le voit dans certaines déclarations de femmes quand on parle de féminisme ou de dénonciations d’inégalités dans le monde, (je vous laisse penser à n’importe quelle affirmation publique récente, ça me fait plaisir). Cela montre que oui, on a un problème de genre actuellement dans le monde mais pas que. On a surtout un problème de stagnation. Chaque avancée contre les discriminations contre n’importe quel groupe de personnes peut être menacé à tout moment.

Ce n’est pas agréable à se dire ces choses-là, et croyez-moi, mes lectures ont eu un goût particulièrement acide la semaine dernière. Un roman comme Les Etoiles sont légion aurait mérité un meilleur accueil en France. On a aucun mal à faire des émissions, des articles, des podcasts sur des auteurs dits classiques, masculins et blancs. Et je suis la première à les lire, à les regarder ou à les écouter, je fais aussi partie quelque part de ce système. Mais quand il y a des romans qui osent à ce point, qui nous font réfléchir tant à notre présent qu’à changer notre vision de l’avenir, on devrait leur laisser la place et les mettre en valeur, tout simplement.

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